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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pavé pointu lui labourait le dos. Le condamné cligna des yeux sans arriver à discerner le visage du père Lionel.
    — Il faut que je réfléchisse à ce que je vais bien pouvoir raconter tout à l’heure, hein, ajouta-t-il narquois, une fois que je serai là-haut et que les anges me verront arriver avec le cœur sur la main.
    Le moine se redressa et prit du recul, ce qui fit ralentir le reste de la procession. Sam songea que Louis, au moins, eût apprécié sa plaisanterie.
    Non loin de là, une mégère faisait la criée :
    — Une seule place au balcon de l’auberge, pas cher, une seule, bonnes gens ! Et deux sur le toit ! Les meilleures en ville pour ne rien manquer ! Qui veut des places ?
    — Moi non plus, je ne manquerai rien, mais je céderais volontiers ma place ! cria Sam. Quelques spectateurs s’esclaffèrent et l’applaudirent.
    La distance que la claie devait parcourir avait beau être courte, elle exigea tout de même beaucoup de temps. Des gardes encerclaient l’échafaud que les curieux serraient de près. Sam ne sut qu’ils y étaient parvenus qu’au moment de l’arrêt du mulet. Louis remit les guides à l’un des gardes qui s’était avancé. Il délia Sam et l’aida à se remettre debout.
    — Laissez, Baillehache, laissez. Vous avez déjà suffisamment de mal à ne pas vaciller vous-même, fit l’Écossais.
    Au lieu de répondre, Louis serra farouchement les mâchoires et escorta sans aide le condamné, suivi du moine, jusqu’à la structure de chêne assombrie par les ans au pied de laquelle Sam dut s’arrêter pour uriner. Après quoi, Louis gravit l’échelle sans compter sur l’appui de Sam qui faisait mine de se laisser tirer par lui.
    À l’ombre de l’échafaud, les habitants du domaine faisaient silence. Ils n’avaient apparemment pas la tête à faire cas de l’inhabituel calme du père Lionel. Louis nota l’absence de Blandine, qui avait dû être désignée pour garder Adam à la maison rouge.
    Tandis que le héraut lisait en détail la sentence de Sam, dont il avait crié l’annonce tout au long de la procession à la place de Louis qui n’en avait pas la force, le condamné sentit derrière sa nuque la respiration accélérée du bourreau qui se déplaça. Son expression était hermétique, telle que Sam l’avait toujours connue. Il entreprit de lier sa victime sur une croix de Saint-André. Ensuite, il marcha jusqu’à un tabouret qu’on avait recouvert d’une nappe. Sous l’étoffe grossière était posé un affreux couteau à dépecer. Le bourreau prit l’arme et revint vers sa victime. Le moine abaissa son capuce. Personne ne se rendit compte qu’il s’agissait d’un inconnu aux cheveux châtains.
    — Souhaites-tu dire quelque chose ? demanda Louis à Sam.
    Le condamné chercha parmi les premiers spectateurs le visage bien-aimé de Jehanne. Une fois qu’il l’eut trouvé, semblable à une œuvre en porcelaine bise sous les rayons du soleil qui gagnaient en force, il dit :
    — Non. Ce qu’il reste à dire reviendra un jour à mon fils. Allez, allez-y avant que le courage me manque. Je n’en peux plus.
    Louis acquiesça.
    — Je promets de faire vite, dit-il.
    Après avoir détaché la chemise de Sam, il dut la découper afin de la lui enlever complètement, à cause des liens. La foule, cette meute odieuse qui pourtant avait montré de l’affection pour Sam, acclama ce geste et attendit la suite avec convoitise. Sam ferma les yeux. Tout de suite après, il sentit sous son sternum le contact froid de la lame. Il sursauta, mais serra davantage les paupières et les mâchoires, s’armant pour l’effrayante douleur. D’un instant à l’autre, Louis allait pratiquer une incision sous les côtes, vers la gauche, et il allait y plonger la main. Allaient le terrasser quelques atroces secondes de hurlements d’agonie au cours desquelles le bourreau allait extraire d’une cavité sanglante son organe encore palpitant et en sectionner les connexions. Puis tout serait fini. Enfin.
    Mais il ne se passait rien. Le couteau restait appuyé contre sa peau. Il était immobile. Soudain, le soleil pénétra sous ses paupières closes et contraignit le condamné à rouvrir les yeux. Louis, qui avait jusque-là projeté sur lui sa grande ombre, s’était légèrement déplacé sur un côté afin, crut Sam, d’offrir une meilleure vue aux spectateurs. Il leur faisait face.
    Puis il l’aperçut. Loin au-dessus de la masse crasseuse, dans

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