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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dépasser le maître et, pour lui, il ne pouvait y avoir d’autre issue que de laisser aller. Il sourit en songeant à la barrière du jardin où les attendait Adélie depuis si longtemps. Il récita, à voix basse :
    — « Maintenant, ô maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole (100) . »
    L’archer fut empoigné par une cheville et tiré en bas où il disparut parmi le déferlement humain. Il ne reparut pas.
    L’échafaud dont s’était désintéressée la foule avait les allures d’une nef échouée.
    — Baillehache. Vous ne nous faites pas ce coup-là. Vous ne nous faites pas ce coup-là ! rugit Sam avec véhémence.
    — Mon nom est Louis Ruest, répondit le bourreau.
    Il titubait. Quelques bulles de salive rougeâtre s’échappèrent d’entre ses lèvres et lui coulèrent le long du menton. Il demanda, d’une voix presque enfantine :
    — Mais pourquoi est-ce que je tiens bon, là ?
    — Louis, oh, Louis ! supplia Jehanne en s’approchant de lui, les doigts d’une main cramponnés à ses lèvres.
    Il la regarda, un peu étonné de la trouver là.
    — Ça va, Jehanne, dit-il.
    Il toussa. Un goût métallique lui vint à la bouche. D’une main tremblante, il empoigna la flèche et la cassa. Il n’en resta plus qu’un petit moignon long de trois pouces fiché dans sa poitrine. Jehanne hurla. Elle dut prendre appui à la croix de Sam, qui pleurait.
    Dans le remuement poussiéreux de la foule, quelqu’un brandissait la tête de Lionel au bout d’une pique, près d’un homme à longue barbe qui salua son passage avec respect.
    Louis ne vit rien de cela. Il effleura le fer planté dans sa poitrine. Au creux de cette petite plaie d’allure minime et qui déterminait une effusion de sang presque insignifiante à cause de la présence du fer, il perçut la formation de grappes de bulles. « C’est le poumon qui est touché. Ça ne m’a pas atteint assez haut », songea-t-il.
    — Louis ? appela Jehanne en s’avançant timidement.
    Elle ne put empêcher une faible touche d’espoir d’éclairer sa voix. Il se tenait là, à étudier sa blessure comme s’il s’agissait d’une simple curiosité. Peut-être… peut-être…
    Elle appela à nouveau :
    — Louis ? Est-ce grave ?
    — Mais non. C’est ce que je ne comprends pas. J’ai à peine mal. À peine. Où est Père ?
    L’image de la hampe dans sa main se brouilla et il chancela. Il ne lui fut plus possible de tenir sur ses jambes. Tout à coup, il ne pesa plus rien et le bruit de sa propre chute lui emplit les oreilles. Cela le surprit.
    Jehanne le vit s’effondrer pesamment sur le côté droit, en position fœtale. Ses hurlements couvrirent ceux de la foule.
    — Mon Dieu, Louis ! Au secours ! À moi ! Aidez-nous, je vous en prie !
    Triste supplique, sans cesse répétée.
    — Inutile… personne ne va venir, dit Louis faiblement.
    Jehanne s’agenouilla près de son mari. Elle le tourna délicatement sur le dos et lui posa la tête sur son giron. Il sursauta et se mit à souffler davantage, la bouche grande ouverte. Il tourna les yeux vers Sam, qui haletait comme lui. Cette vision terrible lui rappelait Aedan. Le géant terrassé toussa faiblement. Un filet de sang s’échappa d’entre ses lèvres. La main tremblante de Jehanne lui caressait les cheveux, et ses larmes pleuvaient sur son visage. Son attention se porta à nouveau sur sa femme dont il serra la nuque de sa main calleuse. Elle se pencha vers lui.
    — La vie continue, allez, dit-il.
    — Sans vous… je ne peux pas.
    — Mais si. Vous comprenez, personne ne venait le demander ; alors, j’ai… un peu forcé la main… à la coutume.
    Sa respiration se congestionnait et il commençait à lutter contre l’inconscience.
    — Non, je ne comprends pas, dit Jehanne.
    — Personne ne venait le demander en mariage. Vous allez être veuve… Prenez-le… Partez avec lui et Adam… pour les Hautes-Terres.
    Une larme tomba des yeux gris sur le nez de Louis et s’insinua jusqu’à sa bouche. Jehanne demanda :
    — Vous voulez dire que… je n’aurai qu’à le demander à voix haute et il sera gracié ? Mais ils ne voudront jamais. C’est trop rapide.
    — Faites ce que je vous dis, souffla Louis d’une voix à peine perceptible.
    Le spectateur à longue barbe s’approcha en hésitant de la haie de gardes sans cesse bousculée. Louis tourna la tête dans sa direction et reconnut Nicolas Flamel,

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