Le salut du corbeau
qui acquiesçait gravement en se mordant les lèvres et qui dit :
— Le plomb s’est enfin transmuté en or, mais à quel prix ? Je suis navré.
— Pas moi, dit le bourreau, dont la main retomba.
Jehanne demanda :
— Louis… qu’avez-vous fait ? Ne me dites pas que ce… c’était… voulu ?
— Mais oui. À cause de cette peinture, vous savez. Et du moine. Il parle trop celui-là, je l’ai toujours dit. Il m’a bien eu.
Il essaya de rire, s’étouffa et déglutit. Un nouveau ruban écarlate lui coula depuis la commissure des lèvres et il murmura :
— Je crois… c’est que je suis très amoureux de vous.
Il attendit d’elle une permission, le plus petit signe indiquant qu’elle acceptait son offrande. Sans savoir ce qu’elle faisait ni pourquoi elle le faisait, Jehanne pressa son front contre le sien. Après quoi, elle reposa la tête de Louis sur ses genoux.
— Merci, dit Louis d’une voix à peine audible.
Les yeux sombres, tavelés de lueurs vivantes, la saluèrent. La main du bourreau erra et empoigna le moignon de hampe. Il lui donna une violente secousse vers le haut. Jehanne haleta en même temps que lui. La pointe de la flèche s’enfonça plus avant et toucha le cœur. Les scintillements dans son regard, un instant soucieux, s’enflammèrent. Ils s’égarèrent avant de retrouver le visage de Jehanne penché au-dessus du sien. Étonnés, ils vacillèrent.
— Au revoir, maître. Au revoir, Louis, dit Jehanne doucement. Elle sentit un souffle ténu lui caresser le visage. La main qui serrait le moignon de la hampe retomba doucement. Le visage de Louis s’éclairait. Il en était comme anobli. Jehanne ne voulut pas fermer les yeux qui avaient toujours refusé de se clore.
La haie de gardes consentit enfin à s’ouvrir pour livrer passage à l’alchimiste. Il grimpa les marches de l’échafaud et rejoignit Jehanne, qui se releva. Des spectateurs qui s’agitaient tout près les remarquèrent. Ils pointèrent l’échafaud du doigt et se retournèrent vers lui, délaissant le clocher. Ils firent silence. Leur accalmie se répandit miraculeusement par toute la place et, bientôt, il ne flotta plus au-dessus des têtes qu’une rumeur légère semblable à une brise.
Nicolas Flamel sourit. Jehanne et lui s’avancèrent vers la croix. La nouvelle veuve posa la main sur celle de Sam et clama bien fort, avec un sentiment d’urgence :
— Je désire le prendre pour mari !
Aucune protestation ne s’éleva de la foule. Seule la brise répondit en soulevant avec douceur une mèche de cheveux qui cherchait constamment à se poser sur le regard émerveillé de Louis.
Chapitre XIV
Le premier homme
Hiscoutine, juin 1391
Un jeune homme en kilt s’arrêta dans le sentier qui menait à la colline. Bordé de ses peupliers frémissants et émaillé de ses premières feuilles touchées d’or vieilli, ce sentier annonçait la fin d’une longue quête. L’homme rajusta les courroies maintenant contre son dos un grand objet plat de forme rectangulaire qui, soigneusement emballé dans une toile cirée et muni de sangles pour le transport, lui battait les reins depuis son départ de Paris. « Allez, vas-y, hâte-toi, on y est presque », semblait lui répéter l’objet léger qui n’avait cessé d’effleurer dans son dos une zone précise où se nichait une marque étrange faite de trois traits sinueux parallèles.
De là où il se tenait, Adam Aitken put presque se persuader que rien n’avait changé à Hiscoutine, qu’il allait retrouver le domaine tel qu’il l’avait laissé cinq ans plus tôt.
On eût dit que le sentier lui-même venait de lire dans ses pensées et exprimait son désaccord avec elles en lui envoyant trois jeunes enfants qui ne lui étaient pas familiers. Ils le rejoignirent à mi-pente et se mirent à lui tourner autour, intrigués par son kilt. Il leur sourit et leva les yeux vers le haut de la pente : aucun signe de ses parents ni de ses deux petites sœurs.
Adam avait à peine connu la plus jeune ; c’était une enfant lorsqu’il avait quitté la maison. S’il avait bien participé aux jeux de son autre sœur, l’adolescence d’Adam avait tôt fait d’élever entre eux une barrière infranchissable. Les deux premiers rejetons de Toinot et Blandine s’étaient eux aussi manifestés dans son existence au moment le plus inopportun, alors qu’il s’y était senti déjà trop à l’étroit ; ces visages nouveaux, pour lui sans
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