Le salut du corbeau
vous infligerai de mes mains sans aucun regret.
Immobile, il attendit.
— J’ai compris, dit enfin Jehanne.
Il fit un signe de tête et se leva.
— Bien. Vous garderez le lit jusqu’à ce que je vous ramène à la maison. Interdiction formelle de vous lever, même pour le pot de chambre. Je prendrai arrangement avec Bertine pour que l’on vous apporte ici vos repas et d’autres remèdes. Demain, nous y verrons plus clair.
Jehanne ne fut pas dupe. Lui non plus. Il s’en alla vers la porte.
— Louis, appela-t-elle.
Il se retourna.
— Allez-vous… Sam… ?
Il réfléchit, avant de répondre :
— Non.
Il valait mieux qu’elle ne sût pas que c’était le père qui avait sauvé l’enfant. Ce père qui avait lui-même été sauvé par une promesse jadis faite à son grand-père.
Jehanne ne lui posa aucune question à propos de Desdémone. Elle dit :
— Merci.
Il se hâta de sortir avant qu’elle ne lui demande ce qu’il comptait faire d’elle.
Louis s’était hâtivement couvert de son aumusse* à capuchon court, dépourvu de nœuds. L’infirmier de l’abbaye aux Hommes d’où était venu le messager expliqua tout au bourreau qui se tenait à ses côtés, sans oser le regarder dans les yeux, pendant qu’il le conduisait à travers des couloirs impeccables jusqu’à une porte fermée où il s’arrêta avec lui. Louis ne bougea pas. Il ne dit rien. Voilà qui était pire que la commotion que causait habituellement ce genre de nouvelle. Ne sachant trop comment clore cet entretien à sens unique, l’infirmier s’éloigna à reculons en disant :
— Tout ira bien, maître. Nous ferons en sorte de lui prodiguer tous les soins nécessaires. Bon, eh bien, je vais vous laisser tous les deux, maintenant. Mais pas pour longtemps. Nos patients ont tous grandement besoin de repos. Veillez à ne pas trop lui causer d’énervement.
Louis acquiesça et ouvrit doucement la porte de la grande salle silencieuse. Il l’avait à peine refermée sur le couloir sombre que des chuchotements nerveux se mirent à monter des lits où des patients étaient allongés deux par deux. Leurs échanges sonnaient comme des piétinements de souris.
Sans regarder autour de lui, Louis s’avança entre les deux rangées de lits, jusqu’à celui que le moine lui avait désigné. Le premier blessé avait eu des côtes broyées par une charrette qui s’était renversée sur lui. Il dormait profondément. Louis examina longuement les deux poignets du second, qui étaient emprisonnés dans des bandages blancs.
— Hé, tu lâches, d’accord ? dit Sam d’une voix sans force.
Ses boucles rousses frémirent sur les carreaux* immaculés alors qu’il tournait lentement la tête vers lui. Il avait peine à garder les yeux ouverts, car il était sous l’effet de sédatifs. Il tenta de se redresser un peu contre ses oreillers, ce qui fit grommeler son voisin sans toutefois le réveiller.
Sam demanda :
— Es-tu déçu que j’aie manqué mon coup ?
Louis ne dit rien. Sam ne paraissait pas se rendre compte qu’il le tutoyait.
— Ne reste donc pas planté là. Tu m’étourdis. Assieds-toi, quelque chose…
Louis tira un tabouret à lui et y prit place. Il attendit sans manifester le moindre signe d’impatience. Comme Sam s’y était attendu, il ne lui posa aucune question non plus. Il le connaissait bien, le Faucheur ! Mais, pour une fois, Sam lui fut reconnaissant d’être tel qu’il était. Il y avait de ces moments, surtout face au désarroi d’autrui, où nul ne savait se montrer plus prévenant que lui.
De longues minutes s’écoulèrent sans qu’un seul mot fût échangé. La respiration de Sam ralentissait et ne devenait plus profonde que pour mieux l’éveiller en sursaut la seconde d’après. Soudain, il secoua agressivement sa tête rousse et grogna :
— Saletés de médicaments. J’ai à te parler. Empêche-moi de me rendormir.
— Bien.
Louis se releva et se rapprocha du lit. Sam se cala contre ses oreillers en soupirant. Il dit :
— Jehanne. Jehanne et le père…
La tête de Sam retomba. Louis tendit la main et la lui souleva rudement par les cheveux. Il sursauta et ricana faiblement :
— Ah, espèce de brute.
— Que dois-je faire ? demanda Louis en le lâchant.
Sam répondit, la diction de plus en plus pâteuse :
— Pas capable de les voir tout de suite. Arrange ça pour moi.
— C’est déjà fait.
Sam baissa la tête à nouveau. Des
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