Le Sang d’Aphrodite
térem.
— Tu te crois tout permis ? glapit Fania. Au secours ! Au viol ! Attrapez-le !
Mais le garçon avait déjà atteint la chambre de Nadia. La porte n’était pas fermée. De l’autre côté du seuil gisait sa bien-aimée, le corps à peine voilé d’une chemise de lin. Sous son sein gauche, une tache écarlate maculait le fin tissu blanc. Ses yeux étaient grands ouverts, ils fixaient l’éternité. Refusant de comprendre, il se laissa tomber à genoux et se mit à secouer Nadia. Soudain, il vit un peu de sang apparaître entre les lèvres de la jeune fille. De minces filets rouges s’échappèrent de sa bouche et coulèrent sur son menton et son cou. Il se figea. Puis un cri terrible jaillit de sa poitrine. Il s’effondra sur le corps de Nadia et perdit connaissance.
Il avait dû rester inconscient un peu plus d’une heure. Quand il revint à lui, les ombres du crépuscule descendaient sur la ville. Il était étendu sur l’herbe ; à genoux près de lui, Artem, les traits tendus par l’anxiété, scrutait son visage. Philippos tenta de se soulever sur le coude. Ils se trouvaient sur la pelouse devant la maison de Nadia. Deux gardes étaient postés à l’entrée, tandis que d’autres empêchaient les domestiques d’approcher du perron. On entendait les sanglots de quelques servantes. Les yeux secs, Philippos croisa le regard d’Artem.
— Nadia est morte ? parvint-il à articuler sans reconnaître sa voix.
Le droujinnik acquiesça en silence.
— C’est le même assassin, n’est-ce pas ? Mais elle n’a pas été… ? s’enquit-il dans un murmure.
— Non, elle n’a pas été tuée de la même façon que les autres jeunes filles, répondit Artem tandis qu’il l’aidait à se mettre debout. Son corps est intact, à part le coup de poignard qu’elle a reçu en plein cœur.
Le garçon lutta contre un accès de vertige, s’appuyant de tout son poids au bras du droujinnik.
— Mais pourquoi ? gémit-il. Le rituel n’a pas eu lieu, alors pourquoi l’avoir poignardée ?
— Tu as vu dans quel état était sa chambre, répondit Artem d’un ton sombre. Le meurtrier était à la recherche de quelque chose, il a tout mis sens dessus dessous.
— C’est ce maudit flacon ! s’écria le garçon, le visage déformé par la souffrance. Tout cela est ma faute. C’est à cause de moi que Nadia…
Il s’interrompit, secoué de brefs sanglots sans larmes, la tête pressée contre la poitrine d’Artem. Puis il s’écarta et s’immobilisa, le regard dans le vague. La souffrance avait anéanti en lui toute pensée claire, toute émotion. Il n’était plus qu’une plaie béante, comme si une main aux griffes acérées l’avait vidé de toute substance. La douleur avait aussi transformé le monde autour de lui, ne laissant que silhouettes sans couleur, sans odeur, sans bruit. Il n’entendait même plus la voix d’Artem. Dans sa tête, il revoyait les traits figés de Nadia, sa bouche entrouverte, avec un filet de sang au coin des lèvres. C’était l’insupportable réalité à laquelle il devait faire face. C’était arrivé. Alors, rien n’avait plus de sens. À quoi bon résister ou lutter ? À quoi bon continuer à vivre ?
À travers la brume qui noyait le monde, il regarda Artem et, soudain, il l’entendit dire :
— Mon garçon, il y a un temps pour l’action et un temps pour le deuil. Tu pourras pleurer Nadia plus tard. En ce moment, l’important, c’est d’arrêter l’assassin. Tu voulais être à mes côtés, tu t’en souviens ? Alors, ne me laisse pas tomber ! Je compte sur toi.
Philippos tressaillit. Nadia était morte, mais il n’avait pas le droit d’abandonner l’enquête : cela aussi, c’était vrai. Il se devait d’aider Artem. Plus tard, oui… il donnerait libre cours à son chagrin – après qu’ils auraient mené à bien leur mission.
— Nadia a sûrement été tuée parce qu’elle détenait quelque indice, reprit le droujinnik, songeur.
Philippos leva la main pour intervenir, il s’efforça de parler, mais les mots refusaient de sortir. Artem tenta de l’entraîner vers la sortie du domaine.
— Ici, nous ne pouvons rien faire d’utile. Ce sont les gardes et le médecin du prince qui doivent maintenant accomplir leur travail. Quant à nous, nous avons rendez-vous avec les Varlets au refuge des quatre sages.
— Je sais ce que cherchait l’assassin, réussit à articuler le garçon. Il faut que je te
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