Le Sang d’Aphrodite
raconte tout depuis le début. Tu comprendras ce qui s’est passé.
— Viens, mon grand, tu m’expliqueras cela en chemin, insista Artem.
Philippos se laissa conduire hors de la propriété. Évitant la grand-rue, ils empruntèrent des ruelles étroites, désertes à l’heure du repas du soir. La voix à peine audible, le garçon se mit à relater comment il avait ramassé le flacon lors de la fête du Feu nouveau et pourquoi il s’était abstenu de montrer sa trouvaille.
— Je sais tous les reproches que j’ai mérités, dit-il d’un air morne. Tu peux être sûr que je ne garderai plus jamais par-devers moi le moindre élément concernant l’enquête. J’aimais Nadia… et elle a payé de sa vie mon arrogance et ma stupide présomption ! conclut-il d’une voix qui se brisa.
— Tu n’y es pour rien, dit doucement le droujinnik. Tu as fait une énorme bêtise, mais tu n’aurais pas pu sauver Nadia.
Il étreignit le garçon d’un geste brusque, puis continua de l’écouter sans l’interrompre pendant que celui-ci narrait comment Nadia lui avait subtilisé l’aryballe. Il s’anima un peu en évoquant sa rencontre avec le petit orphelin Titos, ainsi que les révélations concernant la sœur du gamin, cette mercière grecque dont le meurtre avait été mentionné dans les Archives du Tribunal.
— Elle a péri de la même façon que son amie la servante et les autres victimes, résuma-t-il, tandis qu’un peu de couleur revenait sur ses joues. Photia et son amant se servaient de ce maudit élixir, le Sang d’Aphrodite, pendant leurs ébats. Il n’y a qu’un seul détail par lequel cette affaire se distingue des autres : au lieu d’apporter le flacon sur les lieux de son crime, l’homme l’avait offert à Photia deux ou trois semaines avant la nuit fatale. Après avoir accompli son crime, il a abandonné l’aryballe vide sur place. Il avait agi de la même façon plusieurs fois avant la nuit du meurtre d’Olga ; c’est alors que les choses ont commencé à changer.
Artem approuva d’un hochement de tête.
— Et si c’était Kassian, le coupable ? avança Philippos, fixant le droujinnik d’un regard qui brilla soudain d’une haine farouche. Je suis persuadé que Nadia l’attendait ce soir. Peut-être est-il venu un peu plus tôt dans la journée ? Cela expliquerait beaucoup de choses !
— Pas la façon d’agir du meurtrier, objecta le droujinnik. Il a exploré toutes les cachettes possibles : tiroirs de la coiffeuse, coffres à vêtements, boîtes où Nadia gardait bâtons d’aromates et fleurs séchées. Kassian n’aurait pas eu besoin de faire cela, n’est-ce pas ?
— Mais enfin, Nadia l’a laissé entrer de son plein gré ! Qui aurait pu obtenir qu’elle lui ouvre sa porte à part son fiancé ?
— Sans doute quelqu’un qui se faisait passer pour lui… J’ignore par quelle ruse il avait pénétré chez elle, mais il ne pouvait espérer qu’elle lui fasse des confidences. Il fallait qu’il la tue pour fouiller sa chambre en toute liberté.
Philippos s’abstint de commentaires et sombra de nouveau dans un profond abattement. Ils avaient rejoint la résidence princière. Visage fermé, regard éteint, le garçon suivit Artem à travers le parc jusqu’à la tonnelle. Seul Mitko les attendait déjà. La lumière des torches éclairait des boissons rafraîchissantes servies dans des coupes en bois peint, ainsi que deux larges plats remplis de petits pâtés à la viande et au poisson. Pour une fois, l’odeur alléchante qui s’en échappait laissait indifférent le Varlet qui triturait les boucles de sa barbe d’un air malheureux.
— Boyard ! s’écria Mitko en bondissant sur ses pieds. J’ai entendu dire que la fille de Grom… Est-ce vrai ? s’enquit-il en jetant un coup d’œil soucieux vers Philippos.
Comme Artem acquiesçait en silence, Mitko s’empressa de poursuivre :
— Nous aussi, nous avons fait une macabre découverte : le cadavre de Kassian !
— Comment ? Kassian, mort ? s’exclamèrent ensemble Artem et Philippos.
— Assassiné ! C’est arrivé en fin de matinée, d’après le médecin Manouk. On l’a lardé de coups de poignard. Kassian se trouvait alors dans un bosquet de pins sur la berge de la Desna, pas loin de la porte sud. Il devait attendre quelqu’un quand il a été assailli… Et voilà que nos deux fiancés ont tiré leur révérence ensemble ! ajouta-t-il d’un ton lugubre. Maintenant,
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