Le Sang d’Aphrodite
viendrait à la résidence princière le lendemain. Puis il rangea l’aryballe dans sa poche et longea la grand-rue sans se presser. Il avait décidé de remettre jusqu’au soir le moment d’avouer à Artem tout ce qui concernait le flacon égaré par l’assassin d’Olga. Il raconterait aussi sa rencontre avec le petit vagabond et ce que celui-ci lui avait appris sur le meurtre de sa sœur. Maintenant qu’il se sentait en paix avec lui-même, l’image de Nadia revenait le hanter. Il repensa à leur conversation… Soudain, il s’immobilisa. Elle attendait quelqu’un pour le souper, mais qui ? Un négociant travaillant pour son père ? Fichtre non ! Il ne pouvait s’agir que du sieur Kassian. Cette petite peste avait failli le berner une fois de plus ! Il se mit à mimer Nadia en se composant une moue capricieuse :
— Je suis si changeante ! Je t’aime peut-être, un peu, beaucoup… Mais dès qu’un autre me parle épousailles, je te laisse tomber comme un vieux chausson de tille !
Reprenant sa voix normale, il trancha :
— Fini de jouer les girouettes, ma mignonne ! Ce soir, je vais débarquer à l’improviste, que ça te plaise ou pas. Quant à l’autre lascar, je vais lui flanquer une correction dont il se souviendra pour le restant de ses jours !
Il bomba la poitrine d’un air belliqueux tout en réfléchissant. Le mieux, ce serait de surprendre Kassian lorsqu’il serait déjà installé, bien à son aise, en train de débiter ses boniments. Ainsi, Philippos avait largement le temps de repasser chez lui. Il en profiterait pour se munir de tout ce qu’il fallait pour un combat singulier : son épée et sa cotte de mailles, qu’il dissimulerait sous son caftan. Ensuite, il retournerait en catimini chez Nadia. Il attendrait le moment propice pour fondre tel un aigle sur sa proie, mettant fin au commerce honteux de sa future fiancée avec ce misérable. « Je me contenterai de lui botter le derrière, songea-t-il. Mais si ce fanfaron veut se battre, à la bonne heure ! Je lui montrerai de quel bois je me chauffe ! »
Un peu plus tard, alors que Philippos se préparait à infliger le juste châtiment à son ignoble rival, Nadia s’affairait dans sa chambre en fredonnant un air plein d’entrain. Elle s’apprêtait à prendre un bain, plaisir qu’elle s’octroyait une fois par semaine, sans compter les grandes fêtes carillonnées. Deux domestiques avaient monté des cuisines de lourds brocs pleins d’eau bouillante pour remplir le cuveau posé au milieu de la pièce. Une autre servante venait de déplier un paravent censé protéger sa maîtresse du vent coulis venant de la fenêtre. Sur la table près du baquet, on avait placé un plateau chargé de friandises et de fruits.
Après le départ des domestiques, Nadia ferma la porte au verrou, ôta sa robe et alla chercher sur une étagère le flacon contenant son essence aromatique préférée, mélange de romarin et de verveine avec un peu de myrrhe. Elle en versa quelques gouttes dans l’eau avant de ranger la fiole à sa place. Enfin, elle retira sa chemise qu’elle jeta sur le paravent, monta sur un petit tabouret et se glissa dans le cuveau. Au contact de l’eau chaude, son corps fut parcouru d’un frisson voluptueux. Elle dénoua les rubans qui retenaient sa chevelure et renversa la tête, laissant ses boucles ruisseler sur son dos. Elle s’immobilisa ainsi pour savourer le plaisir de ce moment, sans cesser de réfléchir.
Il était essentiel qu’elle paraisse à son avantage ce soir, quand elle se présenterait devant Kassian. Dire que, bientôt, elle serait mariée ! Quel mot magique ! Elle eut une bouffée de compassion pour Philippos. Il était si émouvant avec ses peines de cœur ! Mais il n’avait pas de chance en amour, et Nadia n’y pouvait rien. Marfa, sa meilleure amie, n’avait pas eu de chance non plus… D’ailleurs, Nadia ne comprenait toujours pas si c’était son amant qui l’avait tuée, ou si quelqu’un d’autre lui avait tendu ce piège diabolique. Enfin, tout cela était aussi la faute de Marfa. Cette pauvre fille était d’une niaiserie !
Nadia se mit à jouer avec les mèches de ses cheveux qui flottaient dans l’eau, humant avec volupté les effluves enivrants qui montaient vers elle. Non, Marfa n’avait jamais compris cette vérité pourtant si simple : les discours sur l’amoureux idéal ne servaient qu’à en mettre plein la vue à un blanc-bec comme
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