Le Sang d’Aphrodite
dans la rue où habitait Nadia. Au tournant, il faillit bousculer un passant encapuchonné qui marchait d’un pas pressé en sens inverse, ses éperons cliquetant, son épée retroussant son ample cape sombre. L’homme ne manquait pas d’allure. Et si c’était Kassian ?… Mais non, se rassura Philippos, Kassian ne devait pas encore être là. Il se glissa par le portail entrouvert : personne ! La voie était libre. Il fila vers les fenêtres de la salle de réception et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Comme il l’avait supposé, la pièce était vide.
Il alla se blottir dans l’angle du perron et s’absorba dans ses réflexions. Il ne doutait pas que Grom accepterait de lui donner sa fille en mariage. Encore faudrait-il convaincre Artem, et ça, c’était une autre paire de manches ! Comment allait-il expliquer au boyard qu’il était assez mûr pour prendre femme, qu’il avait déjà acquis ce sentiment de responsabilité qui permet à l’homme d’avoir charge d’âmes ? Pour l’heure, il lui était plus facile de raisonner en termes de solutions pratiques. Il faudrait reconstruire un peu le pavillon qu’il occupait avec Artem. Il suffirait d’élever au-dessus du premier étage une vaste mansarde où Nadia et lui pourraient s’installer ensemble. Cela ne gênerait pas le boyard. Il pourrait conserver toutes ses anciennes habitudes, mais aussi en prendre de nouvelles : inviter les jeunes époux à partager ses repas, ou encore, tenir compagnie à sa bru pendant que Philippos participerait aux expéditions militaires contre les nomades. Comme ce serait merveilleux !
Il émergea de sa rêverie pour regarder les ombres. Étrange ! Kassian n’avait toujours pas montré le bout de son nez. Peut-être avait-il pénétré dans la maison sans que Philippos s’en soit aperçu ? Soudain, une pensée affreuse lui traversa l’esprit. Et si ce coquin s’était faufilé directement jusque dans la chambre de Nadia ? La belle aurait-elle osé le recevoir en bravant les bienséances ? Oh oui, elle en était capable, et il était bien placé pour le savoir ! Il contourna la maison à pas de loup et fixa la fenêtre de Nadia. Les volets étaient ouverts, mais il ne percevait aucun bruit. Sa bien-aimée était-elle dans les bras de son rival ? Cette vision atroce s’imposa à son imagination. Incapable de supporter la jalousie qui le tourmentait, il décida d’en avoir le cœur net. En regardant autour de lui, il remarqua quelques tilleuls au feuillage jauni qui s’élevaient en dehors du jardin. L’un d’eux n’était qu’à une vingtaine de pas du térem. Philippos entreprit de l’escalader et s’installa au milieu des branches. S’accrochant au tronc, il s’efforça de distinguer ce qui se passait dans la chambre. Mais la fenêtre était beaucoup trop étroite, il ne pouvait voir que l’angle de la coiffeuse.
— Nadia, Nadia ! appela-t-il.
Personne ne lui répondit. Un silence de mort régnait dans la mansarde. Alors il pensa avec une certaine joie mauvaise que Nadia s’était endormie en attendant Kassian ! Mais il avait besoin de s’en assurer. Il avisa une branche épaisse qui poussait en direction du térem : s’il parvenait à se glisser jusqu’au milieu de celle-ci, il serait juste en face de la chambre ! Il se mit à ramper et finit par arriver à l’endroit voulu. Écartant les feuilles, il put enfin plonger son regard dans la pièce. Il frissonna de la tête aux pieds. La lumière qui entrait par la fenêtre éclairait une scène de désordre épouvantable. Un grand cuveau en bois était renversé et l’eau s’était répandue sur le sol ; un paravent gisait par terre, cassé en deux ; cruches et bols en éclats, friandises et fruits écrasés jonchaient le plancher. Tout portait des marques d’une violence extrême.
Philippos se hâta de redescendre, des gouttes de sueur perlant à son front. Il tenta de se rassurer, se disant qu’il n’avait aperçu nulle trace de sang. Il courut vers l’entrée, le cœur serré par l’angoisse. En montant le perron, il faillit renverser la grosse Fania qui venait de surgir en haut des marches. La nourrice poussa un hurlement de terreur avant de le reconnaître.
— Qu’est-ce que c’est que ces façons, boyard ? vociféra-t-elle. Tu n’as pas honte ? Pourquoi ne t’es-tu pas fait annoncer ?
Philippos la contourna sans répondre et se mit à escalader quatre à quatre l’escalier menant au
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