Le Sang d’Aphrodite
songea-t-il avec un rictus dédaigneux. Il méprisait profondément l’infirme, individu aussi hideux que stupide qui se croyait pourtant assez malin pour jouer les jeux les plus risqués. Mais le tuer apparaissait comme une précaution inutile, un acte qui ne serait pas même justifié par la jouissance qu’il pourrait en retirer. Oui, il était inutile et dangereux d’en faire trop, mieux valait s’en abstenir.
L’intrus demeura songeur quelques instants puis balaya la pièce d’un regard aigu. N’avait-il pas remarqué tout à l’heure une aryballe identique à celles qu’il avait déjà eu l’occasion d’acheter à Klim ? Si, sur l’étagère dissimulée derrière le rideau bariolé ! Il alla chercher le flacon et retourna s’asseoir près de la table avant de le déboucher. Inspirant à pleins poumons, il se laissa envahir par l’odeur capiteuse qu’il connaissait si bien. Un léger vertige s’empara de lui. Ce parfum éveillait en lui des sensations aussi violentes que contradictoires… Il s’efforça de rassembler ses esprits. Les impressions olfactives ne devaient pas l’empêcher de réfléchir ! L’enjeu de la partie qu’il avait engagée dépassait, et de loin, ses goûts et préférences. Le Sang d’Aphrodite jouait un rôle essentiel dans l’aventure qu’il vivait depuis fort longtemps. Et voilà qu’elle semblait toucher à sa fin ! Artem était sur la piste de l’aryballe et disposait de quelques indices supplémentaires, même s’il ne s’était pas encore rendu compte de leur importance…
Le visiteur nocturne releva la tête avec un air de défi. Les dés n’étaient pas encore jetés, il contrôlait la situation ! Jusqu’à présent, il avait réussi à contourner toutes les difficultés. N’avait-il pas récupéré le collier byzantin avant d’éliminer promptement et proprement cet imbécile de Kassian ? Ah ! quelle plaie, celui-là ! Même maintenant, il ne pouvait penser à ce maudit importun sans éprouver aussitôt une bouffée de rage. Par quel malheureux hasard s’était-il retrouvé la nuit fatidique dans le jardin d’Olga ? Il connaissait les habitudes de la petite catin et espérait sans doute la séduire à la faveur du clair de lune. Quelle torture ç’avait été d’attendre caché près de la tonnelle pendant que ce misérable – hélas, il n’était resté inconscient qu’un bref instant – dépouillait Olga de son collier qui, pourtant, appartenait de droit au Justicier ! Sans mentionner le fait qu’il avait escamoté l’aryballe ! Cet idiot l’avait fourrée dans sa poche d’un geste machinal, et il n’avait rien trouvé de mieux que de la perdre deux jours plus tard, au milieu d’une foule d’invités. On aurait dit qu’il le faisait exprès pour compromettre ses plans !… Pas de doute, Kassian aurait fini par retrouver quelques souvenirs de cette nuit funeste. Aurait-il été capable de décrire la silhouette ou le visage qu’il avait aperçus du coin de l’œil ? Qui sait ! Mais il n’était pas question de courir ce risque. Par ailleurs, il était impossible de faire disparaître Kassian avant d’avoir récupéré le collier d’Olga. Grâce à ses petits espions, ou ses « mouches » – c’est ainsi qu’il appelait les gamins des rues qu’il employait à l’occasion comme informateurs –, il savait que Kassian était entré en négociations avec ce coquin de Matveï afin de revendre le joyau par son intermédiaire ; mais l’affaire semblait traîner en longueur. C’est alors que Kassian avait eu la riche idée d’enlever sa nouvelle conquête, Nadia. Rattrapé par les Varlets, ce dernier n’avait pas eu d’autre choix que de confier le pectoral à sa belle… La suite avait marché comme sur des roulettes ! Dès qu’il eut réglé son compte à Kassian dont il connaissait les déplacements grâce à ses « mouches », il avait pu mettre la main sur le collier caché chez Nadia. Tant pis pour la petite, elle aurait dû mieux choisir ses admirateurs !
Il caressa du bout des doigts l’aryballe, se demandant s’il allait l’emporter. Bien sûr, Klim s’en apercevrait ; et après ? L’apothicaire se garderait bien de signaler ce vol au receveur de plaintes, et il trouverait sûrement trop humiliant d’en parler à Artem… L’intrus reposa le flacon sur la table et se leva. Il était temps de partir ! Il s’apprêtait à remettre le codex à sa place quand, soudain, un léger bruit
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