Le Sang d’Aphrodite
provenant du couloir le cloua sur place. Avait-il éveillé une servante ? Ah ! Ce serait trop bête…
À cet instant, la porte s’ouvrit à la volée, et c’est Klim en personne qui apparut sur le seuil. L’intrus tressaillit et ne put retenir un cri ; son capuchon glissa en arrière, découvrant ses traits. L’apothicaire le dévisagea un instant, stupéfait. Puis il posa ses yeux sur son livre de commerce et fut sur le point de dire quelque chose. Avant qu’il n’eût pu proférer le moindre mot, l’assassin l’avait rejoint et lui plongea son poignard dans la poitrine.
— Voilà pour toi ! lança-t-il d’une voix assourdie par la haine.
Il retira sa dague d’un geste brusque pour frapper une nouvelle fois, en proie à une fureur qu’il ne pouvait contenir. Klim s’effondra comme une masse, sans avoir esquissé le moindre geste pour se défendre. L’assassin se pencha pour essuyer son poignard sur le caftan de sa victime.
— Ce vieil imbécile ! jura-t-il en se redressant. Surgir comme ça, à l’improviste… Par le Diable, il a réussi à me faire peur ! Encore heureux qu’il n’ait pas eu le temps d’appeler au secours.
Il rengaina son arme, tout en continuant de se parler à lui-même, comme pour se rassurer.
— Et voilà, plus la peine de réfléchir si ce meurtre est utile ou pas. Le problème s’est réglé de lui-même ! Ce n’est pas plus mal : le vieux pitre en savait trop ! J’ai été obligé de lui confier certaines choses, j’avais besoin de lui… Mais lui faire confiance à la longue aurait été une erreur. Tôt ou tard, l’eau-de-vie lui aurait délié la langue, il aurait fini par me trahir… Désormais, la question ne se pose plus !
L’assassin contempla un instant le cadavre avant de fixer le livre de commerce. Dissimuler les traces de son passage ne servirait pas à grand-chose. En revanche, il pouvait donner du fil à retordre à Artem, en sorte que le droujinnik se casserait la tête sur la véritable raison de ce crime.
Il ouvrit le manuscrit de l’apothicaire, choisit trois pages au hasard et entreprit de les arracher l’une après l’autre. Après les avoir enroulées ensemble, il les fourra dans sa poche. Puis il reboucha l’aryballe contenant l’élixir et la rangea dans l’autre poche de sa cape, avant d’y glisser la baguette qui lui avait servi de torche. Il lança un dernier regard à la ronde, souffla les bougies et attendit un instant pour que ses yeux s’habituent à l’obscurité. Silencieux comme une ombre, il se faufila à l’extérieur par la fenêtre et se fondit dans la nuit.
CHAPITRE XX
Le lendemain, Artem finissait de déjeuner en compagnie de Philippos et des Varlets quand un serviteur du palais fit son apparition devant la tonnelle.
— Le commandant de la garde, dit-il, essoufflé, m’a ordonné d’aller te quérir sans attendre, boyard. Une femme s’est présentée au palais, elle demande à te voir d’urgence. Son époux, apothicaire de son état, a été assassiné cette nuit.
— C’est Klim ! s’écria Philippos. Pourquoi, pourquoi ne nous a-t-il pas écoutés ?
Le droujinnik se leva sans dire un mot, quitta la tonnelle et s’engagea dans l’allée sur les pas du serviteur, suivi de Philippos et des Varlets. En arrivant devant le corps de garde, ils aperçurent le commandant qui les attendait en compagnie de Vesna. Elle était livide, mais ses yeux, cernés et rougis par les larmes, étaient secs à présent. Le militaire s’apprêtait à faire son rapport mais Artem l’en empêcha.
— Je connais cette personne, déclara-t-il. Mes hommes et moi, nous allons nous rendre tout de suite sur les lieux du drame. Dame Vesna, daigne nous conduire !
Vesna s’inclina et se dirigea la première vers la sortie de la résidence. Dès qu’ils eurent franchi le portail, Artem la rattrapa et ils continuèrent d’avancer côte à côte, Philippos et Vassili les suivant de près ; quant au géant blond, il portait une civière, fermant la marche. Artem présenta ses condoléances à la jeune veuve et tenta de la questionner, mais Vesna ne répondait guère que par monosyllabes. C’est donc dans un silence lugubre qu’ils atteignirent la maison de l’apothicaire.
Vesna renvoya aussitôt les domestiques afin que le droujinnik et ses collaborateurs ne soient pas gênés en inspectant les lieux. Puis elle expliqua comment elle avait découvert le corps de son mari dans son officine, en fin de
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