Le Sang d’Aphrodite
bien qu’il y avait autre chose : la jalousie ! De plus, elle se moquait de Svetlana, disant qu’elle aurait dû enchaîner son mari à son lit pour s’assurer de sa fidélité. »
Artem s’interrompit pour vider sa coupe. Mitko la remplit aussitôt, tandis que le droujinnik poursuivait :
— J’ai alors décrit à Boris la scène évoquée par Svetlana : les deux femmes bavardant en amies, l’une prêtant gentiment son bracelet à l’autre… Boris a sursauté d’étonnement : selon lui, Anna n’aurait jamais montré ce bijou à Svetlana. On s’est alors demandé par quelle astuce cette menteuse avait découvert l’image gravée.
— Ça s’appelle un meurtre ! grogna Mitko.
— Oui, cette harpie a eu tout loisir d’examiner le bracelet après l’avoir arraché du poignet d’Anna morte. Dès lors, tout devenait clair… Mais j’avais besoin de ses aveux ; sinon, ç’aurait été la parole de Boris contre la sienne ! En arrivant au pavillon de chasse, j’ai tout de suite compris ce qui s’était passé. Mais je devais amener Svetlana à jeter le masque et à jouer franc-jeu avec moi.
Il y eut un silence. Au bout d’un moment, Philippos remarqua d’un air pensif :
— Svetlana a bien réussi son manège, tout désignait Igor ! Son parfum favori, les femmes qu’il a aimées, les flacons qu’il aurait oubliés sur les lieux de ses crimes… Elle jouait avec lui comme un chat avec une souris ! Pourquoi voulait-elle absolument faire passer son mari pour un maniaque sanguinaire ? Et pourquoi, non contente de tuer ses rivales, poussait-elle la cruauté jusqu’à mutiler leur cadavre ?
À la surprise du garçon, ce fut Vassili qui répondit.
— Cette femme encore belle voyait son époux se prendre d’une passion ardente pour n’importe laquelle hormis elle-même. C’était pour elle l’offense suprême qu’elle ne pouvait ni pardonner ni comprendre. Toi, vieux frère, dit-il en se tournant vers Mitko, toi, amoureux infatigable et grand pécheur devant l’Éternel, peux-tu expliquer le mystère du désir ?
Son camarade haussa ses épaules puissantes.
— Tout ce que je sais, c’est qu’on ne raisonne pas pareil quand on s’amourache de quelqu’un. Tu n’aimes pas la fille parce qu’elle est jolie, mais tu la trouves jolie parce que tu es fou d’elle. Ça te met vraiment la tête à l’envers ! Et ça te titille, et ça te brûle, tu veux l’attraper et la garder…
Son œil s’alluma de convoitise, il allongea et retira la main à plusieurs reprises.
— Non, ça ne s’explique pas ! décréta-t-il, dérouté. Quand c’est en toi, tu es comme obsédé ; quand ça te lâche, tu t’ennuies. Et ça te prend toujours par surprise !
— Ça frappe comme une flèche décochée par un enfant espiègle ! s’exclama Philippos en battant des mains. C’est encore les Anciens qui avaient raison !
— J’ignorais que mes vaillants compagnons aimaient tant à philosopher, railla Artem. Un jour, vous apprendrez peut-être aussi à réfléchir ! Svetlana, elle, avait une intelligence bien plus terre à terre. Elle avait compris que, pour faire accuser Igor, il fallait forger des preuves, et surtout songer à une motivation solide, fondée sur un raisonnement cohérent – car même un fou suit toujours sa logique à lui. Elle avait pensé à un homme se servant d’aphrodisiaques pour aiguiser le désir qu’il serait incapable d’éprouver de façon normale ; un homme qui devait nécessairement haïr les femmes et désirer les punir après les avoir possédées. C’était si bien vu que Svetlana a réussi à leurrer tous les enquêteurs du prince, moi y compris !
— C’était un plan ingénieux, mais ne me dis pas qu’elle était saine d’esprit ! se révolta Philippos. J’ai scruté son visage hier : il y avait une expression de folie dans ses yeux !
— Certes, elle avait le cerveau dérangé comme tout être capable de commettre un meurtre de sang-froid et, à plus forte raison, des actes d’une telle sauvagerie. Elle a voulu nous faire croire au rituel mis en place par l’assassin dément, et elle y croyait sûrement elle-même – à la manière d’un comédien qui, le temps de la représentation, raisonne et agit comme le personnage qu’il incarne. Et elle en retirait énormément de plaisir ! Nous ne saurons jamais jusqu’à quel point elle vivait dans un monde imaginaire. Sa rancune nourrissait ses chimères, et cette
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