Le Sang d’Aphrodite
de côté mais ne put éviter la pointe meurtrière qui l’atteignit à la gorge. Il vacilla. Artem poussa un cri qui fut couvert par les hurlements et les imprécations de la femme.
Comme à travers un brouillard, Philippos vit le droujinnik lancer sa dague vers Svetlana. Aveuglée par l’élixir, elle avait laissé choir son épée, pressant les mains contre ses yeux meurtris. La lame la frappa en pleine poitrine ; elle émit un cri et vacilla. Artem la rejoignit en deux enjambées, dégagea son arme et la lui enfonça dans le cœur jusqu’à la garde. Alors que Svetlana s’effondrait, Philippos sentit les bras d’Artem le soutenir.
— Je n’ai rien ! s’empressa-t-il de dire. C’est ma cotte qui m’a sauvé, regarde !
Arrachant le col déchiré de son caftan, il exhiba le hausse-col de sa cotte de mailles orné d’un médaillon. L’ovale encadrait une réplique miniature du dessin gravé sur le talisman d’Artem. L’épée de Svetlana y avait laissé une éraflure. Le droujinnik sourit et serra Philippos contre lui. Puis il rejoignit Vesna et l’étreignit à son tour pour calmer le tremblement qui l’avait saisie. Il essuya les larmes qui ruisselaient sur ses joues pâles et murmura :
— C’est fini, mon amour. Personne ne te fera plus souffrir. Je suis là ; désormais, je serai toujours là pour toi !
Le lendemain matin, Philippos se leva plus tard que d’habitude ; il ressentait encore la fatigue et les émotions de la nuit passée. Il se livra à des ablutions froides et s’habilla. Avant de revêtir sa cotte de mailles, il contempla pensivement le hausse-col qui portait la marque du coup d’épée. Puis il se rendit au palais où un garde l’informa qu’Artem s’entretenait à huis clos avec le prince, mais que les Varlets l’attendaient à l’endroit convenu. Il courut donc au refuge des quatre sages, où ses amis prenaient une solide collation composée de potage aux légumes, de blinis et de poisson fumé.
— Alors, petit frère, raconte ! brailla Mitko en guise de salutation. On dit que tu as défié la meurtrière et que tu t’en es sorti haut la main !
— C’est Artem qui le dit ? s’enquit Philippos avec suspicion.
— Le boyard, le prince, tout le monde ! répondit le colosse blond en souriant jusqu’aux oreilles.
— Entre nous autres militaires, je dirai qu’ils exagèrent, confia Philippos. À un moment, j’ai perdu, euh… la maîtrise du terrain. Mais l’honneur est sauf !
Comme les Varlets tenaient à connaître ses aventures en détail, il relata ce qui s’était déroulé dans le pavillon de chasse, depuis l’explication avec Igor suivie de l’insidieuse intrusion de Svetlana, jusqu’à l’affrontement final et l’intervention providentielle d’Artem.
— En fait, Vesna a fini par découvrir l’identité de l’assassin, expliqua-t-il. Hier matin, en rencontrant Svetlana aux bains publics, elle a aperçu cette blessure infligée par Anna que le poison empêchait de se refermer. Elle a alors voulu discuter avec Igor pour tirer au clair le rôle qu’il jouait dans cette histoire. Elle a accepté de l’accompagner sans se méfier de ce séducteur impénitent ! Igor en a profité pour l’entreprendre, et, à dire vrai, il n’aurait pas hésité à abuser d’elle.
— Par chance, le preux Philippos veillait au grain ! le félicita Mitko avec un clin d’œil. Le boyard peut être fier de toi !
Philippos baissa la tête d’un air modeste. Il se demandait si les Varlets s’étaient aperçus des sentiments que Vesna inspirait à leur chef. Il se remémora comment, au milieu de la nuit, le droujinnik et lui avaient raccompagné la veuve chez elle. Artem avait finalement décidé que Philippos rentrerait seul à la résidence et que lui-même demeurerait auprès de Vesna. Elle s’était alors transfigurée, son visage marqué par le chagrin et l’épuisement était devenu rayonnant de bonheur. Quant au droujinnik, il restait grave et silencieux, mais le reflet de la même félicité le baignait comme une aura lumineuse. Il paraissait avoir rajeuni de dix étés, et le garçon s’émerveillait de voir son père adoptif ainsi transformé. Artem allait-il bientôt annoncer leurs fiançailles ? Philippos le souhaitait autant qu’il le craignait. Il fut tiré de ses pensées par Vassili qui demandait :
— Et le boyard, comment a-t-il fait pour vous retrouver ?
— Lui et moi, nous étions hantés par la
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