Le Sang d’Aphrodite
même appréhension : Igor tentant de séduire Vesna. Je n’ai devancé le boyard que de peu de temps. Craignant qu’elle ne soit en danger, il est allé interroger sa servante, puis s’est précipité à la recherche du pavillon. Il a mis un certain temps avant d’y parvenir…
— C’est que personne ne connaît la forêt aussi bien que mon fils ! lança la voix d’Artem. C’est grâce à toi, mon grand, que dame Vesna a eu plus de peur que de mal !
Le droujinnik, qui venait de surgir près de la tonnelle, donna une tape affectueuse sur l’épaule de Philippos. Il était suivi de deux servantes qui portaient l’une un grand plat de beignets et de petits pâtés au miel, l’autre un plateau chargé de coupes et de cruchons d’hydromel. Ayant disposé le tout sur la table, elles s’en allèrent en emportant les plats vides.
— Eh bien, boyard, que dit le prince ? s’enquit Mitko tandis qu’Artem prenait place à leurs côtés et se versait une coupe d’hydromel.
— Il est ravi d’avoir pu remettre au vieil Edrik le collier de sa fille. Il est réellement magnifique, et l’honneur du boyard est sauf ; j’espère que cela l’aidera un peu à se consoler. À part cela… Comme nous tous, Vladimir est content que cette affaire diabolique soit enfin résolue. Alors que je prenais congé, il a déclaré : « La scélérate a échappé à mon Tribunal, mais c’est la justice divine qui l’a rattrapée ! »
— Tiens, j’ai déjà entendu ça ! murmura Mitko en enfournant un beignet au chou.
Artem leva les yeux de sa coupe pour lui décocher un regard de reproche.
— Sa Seigneurie a mille fois raison, bredouilla ce glouton incorrigible. Mais moi, je constate que la justice divine se manifeste toujours par l’entremise du boyard Artem !
— Hier soir, il lui a fallu en outre le concours d’un humble bûcheron, dit Artem en souriant. Je suis tombé sur sa cabane alors que j’errais dans la forêt, et c’est lui qui m’a guidé jusqu’au repaire d’Igor.
— Quand est-ce que tu as compris que la douce Svetlana était en réalité une furie échappée de l’Enfer ? lui demanda Vassili. Au moment d’arriver au pavillon de chasse ?
— Non, je savais déjà à quoi m’en tenir à son sujet, répondit le boyard avant d’ajouter avec amertume : Il n’empêche que je suis impardonnable. Je n’ai entrevu la vérité que très tard, beaucoup trop tard !
— Tu as trouvé un nouvel élément à la dernière minute, c’est ça ? devina Philippos. C’est à cause de ça que tu as pris du retard pour arriver chez Vesna !
— Cet élément n’était point nouveau, soupira le droujinnik. Je ne cessais de penser à l’un des bijoux dérobés : le bracelet d’Anna que Svetlana m’avait décrit au début de notre enquête. En mentionnant l’image gravée sur ce cadeau, un cavalier et une cavalière se faisant face – symbole traditionnel des fiançailles – elle avait voulu attirer mon attention sur les relations ambiguës entre Anna et son frère.
— Boris adorait sa sœur, c’était son unique amour, intervint Philippos. Je le tiens de Nadia. Il nous a paru bizarre parce que le meurtre d’Anna l’avait rendu fou de chagrin.
— D’autant qu’il avait énormément souffert de la mort accidentelle de sa mère, renchérit Artem. Il m’a avoué qu’il se faisait d’amers reproches, croyant avoir une part de responsabilité dans ces deux tragédies. De mon côté, j’avais le sentiment que quelque chose n’était pas clair dans cette histoire. C’était lié aux amours d’Anna – et donc, à Igor.
— Son dernier amoureux ! souligna Philippos. Igor était ce mystérieux amant à qui elle s’était donnée corps et âme. Mais Boris l’ignorait, n’est-ce pas ?
— Jusqu’à hier soir ! Après avoir signé le mandat d’arrêt contre Igor, je me suis rendu chez Boris pour lui révéler l’identité de l’amant de sa sœur et observer sa réaction.
— Ce drôle est imprévisible, tu aurais dû nous amener avec toi ! s’exclama Mitko.
— Vous étiez censés vous occuper d’Igor, rappela le droujinnik. Du reste, Boris est aussi sain d’esprit que vous et moi. Quant aux objets de divination que vous avez découverts dans sa cave, ils appartenaient à feu sa mère. Bref, ayant accusé le coup, Boris a remarqué : « Voilà pourquoi Anna détestait tant Svetlana ! Elle la traitait de sournoise et d’hypocrite, mais je sentais
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