Le Sang d’Aphrodite
lui en voulait tout spécialement… à moins qu’il ait un compte à régler avec toutes les femmes.
— Ce meurtre doublé d’un vol a sans doute été commis par l’un des proches d’Olga, suggéra Vassili. Quelqu’un d’assez proche pour avoir souvent admiré ce joyau.
— Moi, je pense plutôt à un amoureux éconduit, avança Mitko. Cette fille était belle comme le jour et avait une foule de galants.
— Je penche pour cette hypothèse, moi aussi, approuva le droujinnik. Un amant repoussé qui ne supporte pas cette soudaine disgrâce… Ou encore un soupirant frustré et humilié parce qu’il n’a jamais eu de succès auprès de sa belle. L’amour se transforme alors en haine, en besoin de se venger. Oui, cela me paraît un motif plausible.
À cet instant, Philippos se tourna vivement vers le droujinnik.
— Un motif plausible ? Lequel ?
— Le dépit amoureux, répondit Artem sans broncher. L’assassin s’en est pris à Olga non seulement pour s’emparer du précieux pectoral, mais aussi pour se venger de l’attitude méprisante de la jouvencelle. À tort ou à raison, cet homme s’imaginait avoir été trahi.
— On dit qu’Olga était fort arrogante et qu’elle prenait plaisir à se moquer de ses soupirants, renchérit Philippos.
— Retenons donc ce mobile, conclut le droujinnik. Nous allons suivre deux pistes à la fois. Mitko, tu t’occuperas des receleurs. Renseigne-toi discrètement sur leurs faits et gestes. Quoi que dise Edrik, notre homme peut décider d’entrer en rapport avec l’un de ces gaillards.
— Je vais aussi questionner nos informateurs habituels, mendiants et petits voyous, et je garderai pour la bonne bouche les receleurs les plus importants, proposa Mitko.
Artem approuva d’un signe de tête avant de poursuivre :
— Toi, Vassili, tu vas te rendre aux Archives du Tribunal. Je veux que tu passes en revue les affaires criminelles de ces deux dernières années, à la recherche d’assassinats commis dans des circonstances similaires : jeune femme égorgée, bijoux coûteux dérobés… souviens-toi de tous les détails, compris ?
— Parfaitement, lui assura Vassili. Je vais passer au peigne fin tous les dossiers existants et mettre de côté les documents en question.
— À propos de détails, dit Philippos à l’adresse d’Artem, as-tu parlé de ce parfum mystérieux qui émanait du corps d’Olga ?
Les Varlets fixèrent le droujinnik d’un air interrogateur. Artem entreprit alors de décrire l’étrange odeur qui l’avait tant intrigué. Lorsqu’il se tut, à court de qualificatifs, une voix d’homme rauque se fit entendre :
— Boyard, n’ordonne pas de me châtier, mais ordonne de me pardonner ! J’ose interrompre votre discussion afin d’apporter quelques précisions utiles.
Le droujinnik considéra avec étonnement l’homme assis à l’autre bout de la même table. Il avait une grosse tête hirsute poivre et sel et de petits yeux noirs pétillants de malice. Son front bombé sillonné de rides, son nez busqué et ses grosses lèvres aux coins retroussés formaient une physionomie remarquablement expressive. L’homme semblait passablement éméché, et Artem était sur le point de le rabrouer quand son regard tomba sur la compagne de l’inconnu. Sa beauté rayonnante lui coupa le souffle. Son visage ovale était encadré d’une abondante chevelure roux foncé ; quelques taches de rousseur parsemaient son nez droit et ses pommettes hautes. Ses yeux bleu foncé avaient une nuance extraordinaire, ils rappelèrent au droujinnik sa mer varègue natale, lorsqu’un rare rayon de soleil donne un éclat azuré à ses eaux sombres.
— Je m’appelle Klim, se présenta l’homme, et voici mon épouse Vesna 1 – Vesnouchka 2 pour les amis. Je t’ai entendu, sans le vouloir, parler de parfums et d’aromates, boyard. Or ces mots résument la passion qui gouverne ma vie ! J’ai la chance de pratiquer le métier prestigieux d’apothicaire. Il exige de vastes connaissances dans le domaine des remèdes médicaux, mais aussi dans celui des substances odoriférantes. Elles n’ont pas de secret pour moi, quelle que soit leur origine : végétale, animale ou minérale.
— Mon mari a d’abord pratiqué à Kiev, précisa Vesna d’une voix mélodieuse. Son art était très apprécié dans notre glorieuse « capitale des capitales ».
— À Kiev ou ici, mon magasin ne désemplit pas, se vanta l’apothicaire.
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