Le Sang d’Aphrodite
sœur !
— Comment est-ce arrivé ? voulut savoir Artem.
L’apothicaire repoussa sa chapka pour éponger son front bombé.
— Elle a été assassinée voilà quatre lunes. Anna était toute pétillante de vie, spirituelle et audacieuse. Elle poussait ses amoureux à faire mille folies pour elle. Boris, lui, fermait les yeux et lui passait ses foucades. Les autres filles la jalousaient terriblement, et pour cause ! Anna adorait provoquer les gens et attirer l’attention sur elle. Est-ce cela qui l’a perdue ? L’assassin a dû la remarquer et la suivre à son insu jusque chez elle. Il s’est introduit dans la propriété et s’est attaqué à elle, tandis qu’elle se prélassait dans son jardin.
— Dans son jardin ? répéta le droujinnik. Connais-tu d’autres détails ?
L’apothicaire soupira et secoua la tête.
— Des bruits étranges circulaient à l’époque, mais Boris a fait l’impossible pour que l’affaire soit entourée de la plus grande discrétion. Lui-même est resté muet comme une tombe. Aujourd’hui encore, si quelqu’un évoque sa sœur, il se referme en lui-même et s’éclipse aussitôt. Cela se comprend, on ne se remet pas d’une telle tragédie en l’espace de quelques lunes !
— A-t-on arrêté l’assassin ? s’enquit vivement Artem.
— Hélas, non ! Les enquêteurs du Tribunal n’avaient aucun signalement précis. D’après eux, il s’agissait d’un vagabond, peut-être d’un serf en fuite. Les gardes ont ratissé la moitié de la ville, mais le bandit leur a glissé entre les doigts.
— Et ce n’est pas maintenant qu’on pourra l’attraper, enchaîna Vesna de sa belle voix grave. Il a dû quitter la capitale aussitôt après le meurtre. Au jour d’aujourd’hui, il se trouve loin d’ici !
— Peut-être pas si loin que ça, marmonna Artem en échangeant un bref regard avec Philippos.
— Qu’est-ce qui te fait croire cela ? s’étonna Klim, tandis que son épouse levait vers le droujinnik ses yeux assombris par la frayeur.
Artem s’abstint de répondre, mais son regard croisa celui de Vesna et son cœur battit la chamade. Il toussota pour cacher sa gêne et se leva afin de prendre congé. Les jeunes gens installés au milieu de la salle quittèrent eux aussi leurs places. La plupart d’entre eux connaissaient et appréciaient l’apothicaire et sa femme. Ils s’approchèrent pour les saluer, et Klim en profita pour les présenter à Artem. Celui-ci commença par échanger quelques formules de politesse avec Boris, exprimant le souhait de lui rendre une visite informelle. Puis Igor le salua avec un sourire radieux, tandis que son épouse s’inclinait en baissant les yeux. Elle fut imitée par Nadia, jolie comme un cœur, et la blonde Marfa. En s’éloignant, les deux jouvencelles pouffèrent de rire. Elles s’enlacèrent par la taille et quittèrent la taverne sous l’œil jaloux de Philippos. Il était sur le point de les suivre, mais Artem le retint par l’épaule.
— Je t’ai entendu rentrer bien après minuit, murmura-t-il. Je te préviens : plus de promenades nocturnes sans mon autorisation !
— Promis ! chuchota le garçon avec ferveur. Et maintenant, puis-je aller m’amuser avec Nadia et ses amis ?
Artem dissimula un sourire dans sa moustache avant de répondre :
— Allez, file ! Mais je t’attends à la résidence à l’heure du souper.
Philippos se précipita vers la sortie. Artem s’attarda dans la salle pour observer l’apothicaire et son épouse. Vesna examinait la main ébouillantée d’une servante. Klim, qui devait être plus éméché qu’il n’y paraissait, attendait adossé au mur en fredonnant une chanson grivoise. Avec sa bosse énorme, ses grosses mains noueuses et son crâne en forme de dôme, sa laideur était surprenante mais pas repoussante. En dépit de cette difformité, il se dégageait de lui une impression de vigueur et de courage. Quant à Vesna, une séduction irrésistible émanait d’elle, et une grâce féline imprégnait chacun de ses mouvements. En partant, Klim salua Artem d’une voix pâteuse et répéta son invitation à venir le consulter sur les aromates exotiques. Artem promit de le faire à la première occasion.
Enfin, le droujinnik sortit à son tour. À cette heure, le médecin du prince avait dû terminer l’examen du corps d’Olga. Il songea à se rendre tout de suite à la chapelle mortuaire puis se ravisa : il voulait inspecter une
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