Le Sang d’Aphrodite
dissimulée dans les plis de sa cape.
Artem éclata de rire.
— On peut dire que tu n’as pas les yeux dans ta poche !
— C’est toi qui m’as tout appris ! répliqua Philippos en riant à son tour. Cela dit, je te rappelle que ma mère était apothicaire 1 , souligna-t-il en redevenant grave. Je ne connais rien aux préparations, mais je n’ai pas oublié certaines odeurs et saveurs, et je sais encore les associer à telle ou telle substance.
Artem réfléchit un instant puis s’enquit :
— Comment définirais-tu cette fragrance ? Il faut que je sache l’évoquer en termes précis devant Klim.
Philippos gonfla les joues d’un air important et déclara d’un ton docte :
— Tout d’abord, il s’agit d’un mélange, et non d’une substance pure ; sinon, Manouk et moi n’aurions eu aucun mal à l’identifier. C’est une essence aromatique composée selon une formule complexe, élaborée avec soin. Je me demande s’il y a du nard là-dedans…
— Tu parles de cette essence précieuse mentionnée dans les Saintes Écritures ? précisa Artem. La plante dont elle est extraite n’est-elle pas particulièrement rare ?
— Elle ne pousse qu’en Terre sainte, au creux des rochers de Palestine. Si ma mémoire est bonne, il en fallait plus de deux cents livres écrasées pour obtenir un petit pot de…
— Je parie que le nard n’a rien à voir avec l’essence qui nous intéresse, trancha Artem. Quelqu’un la fabrique ici même, à Tchernigov, et il en vend des flacons entiers à de riches débauchés, comme notre assassin. Décris-moi encore cette odeur, pour que Klim puisse en saisir toutes les nuances.
— Elle est piquante, voire épicée et fort capiteuse. Il y a aussi une petite note fruitée. Pour le reste… on ne peut point saisir l’insaisissable !
— Et moi qui croyais qu’on pouvait faire confiance à ton nez !
— Parfaitement ! Si je n’avais qu’une seule qualité, ce serait bien celle-là. J’ai du nez – dans tous les sens de ce terme ! Et maintenant, il faut que je file, Nadia m’attend.
Il détala et disparut derrière le tournant.
1 - Voir Le Sceau de Vladimir, op. cit .
CHAPITRE VII
Un passant indiqua au droujinnik la demeure de l’apothicaire. Artem se fraya un chemin parmi la foule qui emplissait la grand-rue, puis s’engagea dans une étroite ruelle bordée de modestes isbas. Il s’arrêta devant une maisonnette en rondins à un étage. Le portillon de la palissade basse à claire-voie n’était pas verrouillé. Artem traversa le petit jardin, gravit les marches du perron et frappa.
Ce fut Vesna qui lui ouvrit, vêtue d’une ample jupe foncée et d’un corsage blanc qui moulait sa poitrine. Tandis qu’elle s’inclinait, le droujinnik balbutia une formule de courtoisie, fasciné par sa beauté radieuse. Lorsqu’elle leva les yeux vers lui, il dut se faire violence pour détacher son regard du bleu profond de ses prunelles. Il cherchait ses mots quand Klim apparut près de sa femme.
— Boyard Artem, quel honneur de te recevoir ! brailla-t-il. Tu ne regretteras pas d’être venu. Je te ferai visiter mon officine, ma caverne de sorcier. Mais daigne entrer !
Klim aida son hôte à se débarrasser de sa légère cape grise. Lui-même portait une longue tunique à rayures qui rappelait la tenue des habitants des cités lointaines situées sur la route de la soie. Vesna les conduisit dans la plus grande pièce de la maison, celle où son époux recevait ses clients et ses hôtes de marque.
Artem promena son regard autour de lui. Le mobilier comportait une imposante table de travail et un fauteuil à haut dossier, une table basse et quatre autres sièges. Les murs étaient tapissés de rayonnages qui supportaient manuscrits à couverture métallique, volumes de parchemins, rouleaux d’écorce de bouleau et papyrus. Un petit escabeau disposé devant les étagères permettait d’atteindre les degrés supérieurs. Artem ne put réprimer une exclamation d’admiration : plusieurs érudits pourraient envier à Klim la richesse de sa bibliothèque. Devant l’enthousiasme du droujinnik, un sourire heureux illumina le visage du bossu.
— Sais-tu que je possède les œuvres de Galien et d’Hippocrate ? se vanta-t-il. Sans mentionner les livres indispensables dans mon métier, comme l’ouvrage sur les plantes médicinales de Paul d’Égine, ou le traité d’Isaac l’Hébreu… Mais voilà un véritable joyau : le Canon
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