Le Sang d’Aphrodite
ainsi avec Olga… Ah ! Cet instant de jouissance suprême justifiait tous les risques !
Soudain, un souvenir déplaisant surgit dans sa mémoire. Il éprouva à nouveau cette sensation d’écœurement qui l’avait submergé à la vue du corps ensanglanté d’Olga étendu à ses pieds. Comment imaginer cette chair molle et poisseuse capable d’éveiller le moindre désir ? On aurait dit qu’elle était déjà en train de se décomposer ! Et pourtant, l’Amant avait adoré et caressé ce corps, avant de laisser la place au Justicier.
Troublé, l’assassin s’empressa de donner un autre cours à ses pensées. Il était la Mort, et l’ombre de ses ailes déployées planait déjà au-dessus de sa future proie. Ses yeux perçants qui ne cillaient jamais se fixèrent sur la jeune fille. Elle était à peine sortie de l’enfance mais déjà, elle était rompue à l’art de la séduction. Les garçons tournaient autour d’elle comme des papillons de nuit autour de la flamme d’une bougie.
L’œil rivé sur la jouvencelle, la Mort observa quelque temps ses manœuvres de petite aguicheuse et les sourires qu’elle adressait à ses admirateurs.
— Pourtant, c’est à moi que tu appartiens, murmura la Mort. Comme Olga, et Anna, et toutes celles d’avant. Ainsi que celles à venir ! Tu es la nouvelle élue ; tu n’échapperas pas à ton destin !
1 - Coiffure haute et rigide, en pointe ou arrondie.
CHAPITRE IX
Le lendemain matin, Artem se leva de bonne heure et sortit sans réveiller Philippos. Il prit une légère collation aux cuisines du palais, puis se dirigea vers la propriété du boyard Boris située non loin de la porte nord. Il venait de quitter la résidence princière quand Philippos le rattrapa. En découvrant l’expression morose du garçon, le droujinnik évita de le questionner sur la fête du Feu nouveau chez Nadia. Ils parcoururent sans parler la grand-rue, puis Philippos se renseigna auprès d’un vendeur d’eau qui leur indiqua le chemin à suivre. Dès qu’un domestique leur ouvrit, ils virent Boris s’avancer à leur rencontre comme s’il s’était attendu à leur arrivée.
Le jeune boyard était vêtu d’un caftan vert amande et d’amples chausses d’une nuance plus foncée. Sa tenue était aussi sobre que celle d’Artem, qui portait un caftan bleu clair et une cape de soie grise. Quant à Philippos, dont la tunique aux vives couleurs contrastait avec sa mine renfrognée, il ne prêta pas plus attention à la mise de leur hôte qu’au charme de la vieille demeure en madriers de chêne. Il avait décidé de se concentrer sur le comportement de ce jeune homme ombrageux et méfiant dans l’espoir de surprendre quelque réaction qui pourrait échapper à Artem.
Boris les installa dans la grand-salle au solide mobilier ancien et ordonna qu’on leur servît du kvas et de l’hydromel frais. Artem s’apprêtait à formuler sa première question quand Boris le devança :
— Je devine la raison de ta présence ici, boyard. Tu crois que je pourrai te fournir des informations sur le trépas de ma sœur bien-aimée.
Boris baissa la tête et déglutit péniblement. Puis il reprit d’un ton tranchant :
— Navré de te décevoir, mais tu n’apprendras rien de nouveau ! Retourne à ton Tribunal et relis ma déposition. Va questionner tes collègues qui m’ont interrogé le jour même où j’ai découvert le corps d’Anna. Au lieu de se lancer sur la piste encore chaude de l’assassin, ils ont passé deux lunes à remuer des piles de documents archivés, comme s’ils espéraient y découvrir le criminel. Celui-ci a pris la fuite entre-temps et ils ont fini par classer l’affaire !
— Je comprends ta colère, boyard, cette enquête a bel et bien été bâclée, répliqua Artem avec calme. Je pourrai la reprendre en main si je trouve de nouveaux indices permettant d’établir un rapport avec le meurtre d’Olga. Pour cela, tu dois accepter de partager avec moi tes doutes et tes soupçons, au lieu de me renvoyer à ta déposition officielle que je connais déjà.
Boris resta silencieux quelques instants. Son regard inquiet passa des coupes disposées sur la table aux candélabres d’argent puis s’arrêta sur les armes varègues qui ornaient les murs. « Il cherche ce qu’il peut nous confier sans dévoiler ce qu’il veut garder par-devers lui », songea Philippos.
— J’ai entendu dire que ta sœur cadette menait une vie plutôt turbulente,
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