Le Sang d’Aphrodite
à toi-même, et tu en faisais autant à ton beau-père. Cependant… Anna n’était-elle pas responsable, du moins en partie, non pas de sa fin tragique, mais de la situation qui a entraîné cette fin ?
— Anna, responsable ? s’écria Boris en sursautant comme si on l’avait giflé. Et de quoi donc ? D’avoir suscité l’amour de tous ceux qui l’approchaient de près ou de loin ? Du fait qu’un fou l’ait suivie à son insu et l’ait attaquée ? Ma sœur irradiait le bonheur et la lumière, elle méritait plus que quiconque une vie pleinement heureuse !
Boris leva les bras comme pour prendre le ciel à témoin, puis il cacha son visage dans ses mains et éclata en sanglots.
Artem se leva, s’approcha du jeune homme et lui posa la main sur l’épaule.
— Je sais ce que tu ressens, boyard, murmura-t-il. Voir mourir un être cher dans tout l’épanouissement de sa beauté et de ses capacités, c’est plus qu’insupportable : on éprouve le sentiment d’une atroce injustice ! Je suis sûr que tu ne désires rien tant que de venger la mort de ta sœur. Pourquoi ne pas en parler tous les deux, en tête à tête ? Pendant ce temps, avec ta permission, mon fils ira faire le tour de ta magnifique propriété…
Le droujinnik s’éloigna de Boris pour aller donner une tape sur le dos de Philippos. Celui-ci le foudroya du regard. Après un instant d’hésitation, le garçon se leva à contrecœur et déclara d’un ton lugubre :
— J’irai volontiers me dégourdir un peu les jambes. Rien de plus sain que de goûter l’air du matin en arpentant les allées d’un beau parc !
Boris, à présent très calme et très digne, acquiesça d’un signe de tête. Il frappa dans ses mains et ordonna au domestique accouru de conduire Philippos vers le verger où, précisa-t-il, des fruits et des boissons lui seraient servis sous une tonnelle. Quand le garçon eut quitté la pièce, Artem reprit place dans son fauteuil et déclara :
— Maintenant que nous sommes seuls, je vais te dire le fond de ma pensée. Je suis sûr qu’Anna avait un commerce charnel avec quelqu’un, et tu ne l’ignores point. À quoi bon le nier ? Ce n’est pas ce qui nous fera avancer. Il faut que je te pose quelques questions ; me promets-tu d’y répondre avec franchise ?
Boris entrelaça nerveusement ses doigts et marqua un temps avant de bougonner :
— Tu as ma parole.
— Bien. Est-ce que tu crois savoir, ou avoir deviné, qui était l’amant de ta sœur ? Même si tu n’as aucune certitude, as-tu le moindre soupçon concernant son identité ?
— Si c’était le cas, j’aurais déjà fait en sorte que ce vil séducteur soit châtié ! rétorqua le jeune homme, dont les yeux noirs jetaient des éclairs. Tu ne t’es pas trompé : un de ces vauriens qui contaient fleurette à Anna a fini par lui tourner la tête. Elle est tombée amoureuse, et… C’est arrivé quelques semaines avant sa mort. Je l’ai deviné en l’observant : on aurait dit qu’elle marchait sur un nuage ! Elle était plus distraite qu’à son ordinaire et plus insouciante que jamais… Voilà pourquoi elle ne s’est aperçue de rien quand son meurtrier l’a suivie jusqu’à notre demeure.
— Selon toi, ce n’est pas son amant qui l’a assassinée ?
Boris dévisagea Artem d’un air sidéré.
— Par le Christ, boyard, comment peux-tu supposer une telle monstruosité ? Le coquin qui a suborné Anna mérite d’être puni, mais… Même s’il s’agit du pire des coureurs, pourquoi aurait-il voulu lui ôter la vie ? Comment imaginer quelqu’un qui aime les jeux amoureux tuant l’objet de son désir ? Surtout… d’une manière aussi barbare ?
— Je voulais justement aborder ce sujet, releva Artem. Et pour te prouver combien j’apprécie ta sincérité, je vais te confier une information secrète concernant l’enquête en cours. À part mes collaborateurs et moi-même, il n’y a que le prince et son médecin qui soient au courant. Tu es la seule personne capable d’apporter quelque lumière sur ce point délicat. C’est l’unique moyen d’établir un lien entre le meurtre de ta sœur et celui d’Olga !
Rapprochant son siège de celui de Boris, Artem se pencha vers lui et se mit à lui chuchoter à l’oreille. Le jeune boyard l’écouta en silence, le visage fermé, s’efforçant de réprimer les frissons qui parcouraient son corps.
— C’est dans ces horribles circonstances que
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