Le Sang d’Aphrodite
la fille d’Edrik est passée de vie à trépas, conclut Artem en se calant contre le dossier de son fauteuil. Ah, encore un détail important : d’après le médecin, Olga avait perdu son innocence bien avant la nuit funeste où elle s’est donnée à son meurtrier.
D’une main tremblante, Boris tira un mouchoir en soie de sa poche et essuya les gouttes de sueur qui perlaient à son front.
— Pour ma part, j’ai soudoyé le médecin du Tribunal, avoua-t-il. Il s’est contenté d’un examen superficiel du corps d’Anna, et il a passé sous silence les atrocités auxquelles s’était livré son bourreau. Le rapport officiel ne mentionne que le viol. J’espère que j’ai ta parole de boyard…
Il s’interrompit.
— Rassure-toi, personne ne saura jamais ce qu’il en est, promit Artem.
Mais Boris ne semblait pas l’avoir entendu. Il avait le regard dans le vague ; ses prunelles s’étrécirent comme s’il apercevait quelque chose au loin.
— Personne… répéta-t-il dans un murmure. Mais moi, je sais ! Si seulement je pouvais oublier… Cette vision me poursuit nuit et jour. Anna, la gorge ouverte, son corps splendide couvert de sang, et cette horrible plaie sanguinolente au bas-ventre. L’assassin avait tailladé ses chairs les plus intimes, comme si, non content de l’avoir mise à mort, il avait encore voulu lui arracher la fleur de sa féminité !
Sa voix s’éteignit. Il continua de remuer les lèvres en silence, l’esprit ailleurs. Puis il parut se ressaisir et regarda Artem comme s’il sortait d’un état hypnotique. Le droujinnik lut dans ses yeux une telle souffrance qu’il eut honte d’avoir réveillé ces souvenirs atroces.
— Pardonne-moi, dit-il, mon métier comporte des moments fort pénibles, pour les autres mais aussi pour moi-même. Tu m’as apporté une aide inappréciable. Grâce à toi, je sais que le monstre qui a occis ta sœur et le meurtrier d’Olga ne font qu’un. Oh, à propos du lieu du crime : est-ce que tu n’as pas été frappé par un parfum fort particulier flottant dans l’air ?
— Aucun souvenir, fit Boris en secouant la tête. Je t’ai tout dit, boyard. Si tu en as fini avec tes questions, j’aimerais rester seul à présent.
— Une dernière chose. Essaie de te rappeler si Anna portait des bijoux le jour du drame, et si quelque chose manquait quand tu as découvert son corps.
Le jeune homme lui lança un coup d’œil surpris.
— En effet. Anna avait un très beau bracelet en or ouvragé, c’était mon cadeau. Il a disparu, ainsi qu’un autre bijou de valeur. Ce vol prouve d’ailleurs que le coupable était un rôdeur, un étranger. Quiconque connaissant Anna n’aurait jamais eu l’audace de dérober ce bracelet qu’elle affichait partout. Toute tentative de le vendre aurait condamné ce coquin aussi sûrement que des aveux faits en place publique !
— Je comprends ton raisonnement, acquiesça Artem. Pourrais-tu me décrire ces bijoux ?
— Ces détails se trouvent consignés dans ma déposition, rétorqua Boris avec agacement. Mais je peux te les répéter de vive voix, si tu y tiens, ajouta-t-il d’un ton plus amène.
Il s’exécuta. Artem l’écouta sans l’interrompre, tirant sur sa moustache et lui lançant de temps à autre un long regard aigu comme pour le sonder. Les précisions apportées par Boris le laissèrent songeur. Comme il demeurait silencieux, celui-ci conclut :
— Tu en sais maintenant autant que moi sur cette affaire, boyard. Je t’ai révélé jusqu’aux détails les plus délicats, que j’aurais préféré garder secrets. À toi maintenant ! Prouve-moi que je ne me suis pas trompé en te faisant confiance.
Sur ces mots, le jeune homme se leva pour signifier que l’entretien était terminé. Artem le remercia à nouveau et prit congé. Il retrouva Philippos en train de l’attendre devant le perron. Malgré leurs protestations, Boris insista pour raccompagner ses hôtes en personne jusqu’au portail. Une fois dans la rue, le garçon maugréa :
— Tu m’as renvoyé comme un malpropre pour interroger le suspect en tête à tête ! Est-ce que cela se fait entre enquêteurs qui travaillent sur la même affaire ?
Artem leva les deux mains comme pour demander grâce. Il ouvrit la bouche, mais Philippos l’interrompit :
— Inutile de te justifier ! Est-ce que le jeu en valait la chandelle, au moins ? As-tu réussi à lui tirer les vers du nez ?
— J’ai appris
Weitere Kostenlose Bücher