Le Sang d’Aphrodite
l’eau-de-vie. Cependant, les jouvencelles avaient repris leur conciliabule à voix basse. Philippos boudait, tout en les observant à la dérobée. Marfa s’animait en parlant, ses yeux brillaient d’excitation. Que pouvait-elle bien raconter ? Une escapade amoureuse ? Il la détailla d’un œil critique. Ses formes un peu trop épanouies pour son âge, sa blondeur et la blancheur de sa peau lui rappelèrent le mot de Mitko à propos d’une sienne amie : « Cette beauté réjouit le cœur et les sens comme un gâteau de Pâques ! » Mais cette succulence rose et grasse laissait Philippos indifférent. Il lui tardait de rester seul à seul avec Nadia.
Enfin, Marfa embrassa Nadia sur les deux joues et s’en alla. Philippos s’empressa de s’asseoir à côté de sa belle et lui prit la main – cette main qui ne se refusait jamais mais qui se retirait toujours. Cette fois, Nadia ne le repoussa pas. Il l’enlaça timidement, ses lèvres cherchèrent celles de la jeune fille, et toute sa rancune fondit sous la chaleur de ce baiser. Nageant dans la félicité, il humait le parfum de Nadia. Les fragrances de la verveine et du romarin s’y mêlaient à une touche plus sombre et voluptueuse. Le vertige s’empara de lui. Étourdi, haletant, il aspirait cette odeur irrésistible qu’il avait l’impression de connaître depuis toujours…
Soudain, il s’écarta de la jeune fille et bondit sur ses pieds. Il se passa la main sur le front comme pour éloigner un cauchemar. Cette note exotique qui se mêlait au parfum de Nadia… Comment ne l’avait-il pas identifiée tout de suite ? Elle était au cœur de l’essence aromatique qu’il avait sentie flotter dans la chapelle mortuaire. L’élixir de l’assassin !
Il se rassit sur le banc, enfouit sa tête entre ses mains et s’efforça de se ressaisir. La jeune fille l’observait d’un air perplexe. Enfin, il se tourna vers elle et serra ses deux mains d’un geste convulsif.
— Pour l’amour du Christ, qui t’a donné le parfum que tu portes ? Quelqu’un te l’a offert en gage d’amour, avoue-le !
Nadia poussa un soupir d’agacement.
— Tu te crois permis de m’interroger parce qu’on a échangé un baiser ? Tu es ridicule, avec tes accès de jalousie !
— Il s’agit bien de ça ! s’écria Philippos. Mon aimée, tu ne te rends pas compte du danger que tu cours. Si je te disais que le meurtrier d’Olga t’a sans doute choisie pour être sa prochaine victime ?
Nadia eut un mouvement de recul, ses yeux s’agrandirent.
— Tu racontes n’importe quoi pour me faire peur, lança-t-elle avec un sourire forcé. Comment peux-tu imaginer une chose aussi affreuse ?
Patiemment, le garçon lui expliqua les raisons de son inquiétude. Nadia pâlit et sembla réfléchir.
— Ça ne peut être lui ! déclara-t-elle enfin. Le boyard Artem recherche un dément, tu l’as dit toi-même. Or l’homme qui m’a offert ce parfum est parfaitement sain d’esprit. Il a même trop de bon sens, à mon goût, pour un homme épris !
— Ma Nadia, c’est un pervers qui cache bien son jeu. Il a un compte à régler avec les femmes. Ce qu’il aime vraiment, c’est les torturer et les tuer !
— S’il hait les femmes à ce point, j’imagine qu’il n’est pas près d’en épouser une, n’est-ce pas ?
— Comment ? fit le garçon, abasourdi. Ton amoureux veut donc se fiancer avec toi ?
— Tu en fais une tête ! Ça t’a coupé le sifflet, hein ?
La jeune fille éclata de rire et battit joyeusement des mains.
— Et le boyard Grom, qu’en pense-t-il ? demanda Philippos. A-t-il décidé quelque chose ?
— Mon père prendra ses dispositions selon ce que j’aurai décidé, moi, riposta Nadia. Et pour l’heure, mon cœur balance. Alors, garde-toi de me brusquer !
Voyant l’air abattu de Philippos, la coquette ajouta d’un ton adouci :
— Allons, cesse de me poser des questions stupides. Faisons la paix, veux-tu ?
— D’accord… à une seule condition. Montre-moi le flacon qui contient ce parfum ! Ne te fâche pas, je ne cherche pas à te contrarier. Il s’agit de ta sécurité !
Nadia leva les yeux au ciel et poussa un soupir.
— Attends-moi ici !
Quelques instants après, elle revint avec une petite fiole en terre cuite peinte, ornée de l’image de l’antique sirène, une femme à corps d’oiseau. Philippos l’examina puis le déboucha pour en humer le contenu. C’était une
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