Le Sang d’Aphrodite
la réputation si controversée !
À sa surprise, Philippos n’insista pas pour l’accompagner et fila sans demander son reste. Le droujinnik se renseigna auprès de quelques commerçants aisés et n’eut aucun mal à trouver le chemin de la maison d’Igor. Depuis le portail, on apercevait une vaste demeure surmontée d’un térem aux volets clos. Artem supposa que Svetlana se trouvait en bas, surveillant l’entretien de la maison et autres travaux. Il avait entendu dire qu’elle consacrait à la gestion du domaine bien plus de temps que son insouciant de mari.
Un domestique introduisit Artem dans la grand-salle et s’éclipsa. Il jeta un coup d’œil à la ronde. Tout ici respirait l’opulence et le bon goût : le mobilier cossu en bois foncé, les tentures colorées suspendues aux murs, les tapis de laine étalés sur le sol. Quelques étagères supportaient une collection de statuettes et de vases grecs rapportés de Byzance. Artem s’approchait pour les examiner quand Svetlana apparut sur le seuil. Elle portait une robe en tissu velouté couleur mousse qui mettait en valeur son teint diaphane et ses yeux verts.
— N’ordonne pas de me châtier, boyard, j’étais en train de vérifier les comptes, se justifia-t-elle en essuyant avec un chiffon ses doigts maculés d’encre brune. Mon époux n’est pas encore rentré. Si seulement nous avions été avertis que tu allais nous honorer de ta visite !…
Artem balaya ses excuses d’un revers de main, mais il n’eut pas le temps de répondre : soudain, il vit les prunelles de Svetlana s’élargir alors qu’elle fixait la fenêtre ouverte derrière le dos du droujinnik.
— C’est elle ! articula-t-elle d’une voix blanche. Elle est revenue… Elle est encore en train de nous épier !
Artem se retourna brusquement. L’espace d’un instant, il crut apercevoir une ombre furtive qui s’écartait de la fenêtre donnant sur le verger. Il se précipita pour regarder au-dehors mais ne vit que les pommiers et les poiriers éclairés par les rayons obliques du couchant.
Svetlana le rejoignit et scruta anxieusement les arbres dont les branches touchaient presque les murs de la maison.
— Dieu merci, mes yeux m’ont joué un tour ! murmura-t-elle.
Elle se tenait près d’Artem, et il constata avec surprise qu’elle était toute frissonnante d’angoisse et de sueur froide.
— Qui te fait si peur, dame Svetlana ? demanda-t-il, intrigué.
La jeune femme eut un petit rire forcé.
— Ma belle-sœur, Théodora. Elle est venue ici en début d’après-midi. Ah, cette maudite bigote ! ajouta-t-elle d’une voix altérée par la haine.
— C’est ainsi que tu parles de la mère supérieure du monastère de la Vraie Croix ? releva Artem, amusé. L’évêque et le prince ne tarissent pas d’éloges sur cette femme de tête et de poigne !
Svetlana s’était ressaisie mais s’abstint de répondre. Elle appela un domestique et ordonna d’apporter des boissons et des fruits. Puis elle invita le droujinnik à s’installer sur le banc couvert de coussins, devant une table en bois sculpté. Elle servit à Artem du vin de cerise et remplit sa propre coupe avant de venir s’asseoir à côté de lui.
— Mes propos peuvent te surprendre, boyard, j’en suis consciente, admit-elle en sirotant sa boisson. Mais je préfère être franche avec toi.
Elle parlait à présent d’une voix calme et froide, en martelant ses mots.
— On dit que la mère Théodora est une sainte femme, et peut-être l’est-elle dans l’enceinte de son fief. Mais dès qu’elle vient ici, elle redevient ce qu’elle a toujours été : une sœur possessive et jalouse !
— Pourtant, les règles de la vie monastique interdisent des visites fréquentes chez les proches ! s’étonna Artem.
— Théodora sait profiter de la liberté relative que lui assure son statut de mère supérieure. Qu’elle parte acheter des provisions ou inspecter les terres de l’abbaye, elle ne manque jamais l’occasion de faire un détour pour passer chez nous.
— Ma foi, on ne peut lui reprocher de souhaiter prendre des nouvelles de son frère.
— Je dirais plutôt : venir l’espionner ! Elle sait tout ce qui se passe dans cette maison, elle ne perd pas une miette de ce que racontent les domestiques et elle écoute aux portes.
— Aime-t-elle son frère au point de s’immiscer dans sa vie privée ? interrogea Artem, interdit.
— Elle lui dicterait sa
Weitere Kostenlose Bücher