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Le Sang d’Aphrodite

Le Sang d’Aphrodite

Titel: Le Sang d’Aphrodite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elena Arseneva
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souvenir du corps supplicié de Marfa. Il se leva, contourna la table et se pencha vers Igor affalé dans son fauteuil.
    — Tu embaumes comme un couple de jeunes mariés la nuit de leurs noces ! observa Artem, sarcastique.
    — C’est toi qui embaumes, boyard ! persifla Igor sur un ton tout aussi caustique. Par le Diable, je ne te savais pas amateur de ce genre de plaisirs !
    Il toisa le droujinnik, détaillant sa tenue. Celui-ci suivit son regard, posa la main sur la poche de son caftan… et en tira un carré de soie blanche maculée d’une tache rouge sang ! Artem étouffa un juron. Klim ! Ce maudit apothicaire avait dû lui fourrer son mouchoir dans la poche à son insu, juste avant son départ. Désormais, impossible de dire qui dégageait quel parfum !
    Dépité, il se tourna vers Svetlana. La jeune femme baissa les paupières, le visage impénétrable. Artem comprit qu’elle ne dirait rien qui puisse compromettre son mari. Comme pour confirmer cette pensée, Svetlana s’approcha à son tour du fauteuil d’Igor. Plaçant ses deux mains sur les épaules de son époux, elle se pencha pour lui déposer un baiser sur les cheveux.
    Soudain, Artem la vit pâlir et chanceler. Il se précipita pour la soutenir. L’instant d’après, elle se libéra avec douceur et recula d’un pas.
    — Ce n’est rien, j’ai un peu mal au cœur, murmura-t-elle avec un sourire forcé. L’air frais me fera du bien.
    Artem voulut l’accompagner jusqu’à la sortie mais elle le remercia d’un signe de tête et se glissa au-dehors. Quant à Igor, son visage au teint de pêche ne reflétait aucune inquiétude. Il se leva avec nonchalance, repoussa son siège et s’étira avec une grâce paresseuse.
    — Ah, les femmes ! Il faut toujours qu’elles gémissent et se plaignent de quelque chose ! s’exclama-t-il en haussant les épaules.
    — Ton épouse semblait réellement indisposée, souligna Artem sur un ton de reproche.
    Le jeune boyard balaya ces mots d’un geste négligent.
    — Tu ne connais pas Svetlana ! Elle a une santé de fer – c’est d’ailleurs ce que j’apprécie chez elle. Quand j’organise mes parties de chasse, elle est capable de tenir en selle pendant des heures, et elle est aussi habile au tir à l’arc que n’importe lequel de mes hommes.
    — À t’entendre, tu partages tous tes loisirs avec ton épouse, remarqua Artem d’un ton ironique.
    — Que Dieu m’en garde ! s’écria Igor en éclatant de rire. La place des femmes est au térem. Heureusement, nous avons eu la bonne idée de reprendre aux Byzantins leur habitude d’enfermer leurs épouses au gynécée. Encore faut-il avoir les moyens d’entourer ces créatures capricieuses du luxe dont les Grecs sont coutumiers : rideaux de brocart, robes de soie, fumée des aromates… Ma foi, ils ont raison, le plaisir est à ce prix !
    — Tu parles des gynécées en connaissance de cause, observa Artem. On dirait que tu as réussi à forcer la porte de bon nombre de ces lieux interdits.
    — C’est vrai, je l’ai fait plus d’une fois, concéda placidement Igor. Avant mon mariage, naturellement. Cela dit, j’ai renoncé à mes voyages sans aucun regret. Pourquoi aller si loin quand on trouve les mêmes agréments à portée de main ? Lorsqu’on a des goûts raffinés, boyard, on peut les cultiver partout.
    « Quel toupet ! pensa le droujinnik, furieux. Il est grand temps de remettre cet insolent à sa place ! »
    — Ce sont là des pratiques indignes d’un honnête homme, décréta-t-il sèchement. Mais toi, on dirait que tu as un penchant pour ce genre de passe-temps. Les bains parfumés, par exemple. Cette habitude répugne à tout guerrier russe qui se respecte ! Elle est étrangère à nos mœurs, à nos traditions et au génie de notre pays. En vérité, ajouta-t-il avec dégoût, on croirait avoir affaire à quelque dignitaire byzantin corrompu !
    Guettant la réaction d’Igor, Artem alla se planter devant lui, la main posée sur la garde de son poignard. Mais, à l’évidence, le jeune boyard ne souhaitait pas l’affronter. Il refusait même de se mettre en colère ! Il applaudit avec un respect ironique puis répliqua :
    — Des goûts et des couleurs, il ne faut point discuter, boyard ! Et puis, tu me parles de corruption… Le mal nous façonne, c’est bien connu. Alors, n’est-il pas mieux de façonner le mal à notre usage, et même à notre commodité ?
    Artem bouillonnait de colère.

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