Le Sang d’Aphrodite
sorte de torpeur. Artem lui parla avec douceur mais insista pour qu’elle allât l’attendre dans sa chambre, afin qu’il pût l’interroger à l’abri des oreilles indiscrètes. Aussitôt Fania bondit, suffoquant d’indignation.
— Que ma colombe s’enferme avec un homme dans sa chambre ? Cela ne se peut pas ! glapit-elle. Oserais-tu offenser sa pudeur virginale, boyard ?
Mais Artem roula des yeux féroces et aboya ses ordres d’un air tellement effrayant que Fania se précipita vers la maison aussi vite que ses courtes jambes pouvaient la porter. Nadia se releva à son tour, le visage vide d’expression, et suivit Fania en traînant les pieds. Artem s’approcha enfin de Philippos.
— Par quel malheureux hasard t’es-tu trouvé ici ? s’enquit-il d’un ton sec. Le moment ne pouvait être plus mal choisi !
— J’avais un petit cadeau pour Nadia, bégaya le garçon. Elle finissait de déjeuner avec son père et son amie. Au bout d’un moment, Marfa a fait mine de partir. J’ignorais qu’elle allait rencontrer quelqu’un en cachette ici même ! Le jardin est grand, comment pouvais-je l’imaginer ? Et ce parfum… n’est-ce pas le Sang d’Aphrodite ?
— Ton nez t’a déjà donné la réponse, inutile de jouer les naïfs ! répliqua Artem avec humeur.
En fait, cette odeur n’avait cessé de le poursuivre depuis sa visite chez Klim. Il lui semblait que le parc tout entier et même ses propres vêtements sentaient le funeste élixir. À cet instant, quatre gardes portant une civière surgirent dans l’allée : c’était l’aide que Philippos avait envoyé quérir au Tribunal.
— À propos, remarqua le garçon d’un air détaché, on pourrait essayer de mettre la main sur le flacon vide. Qui sait, le meurtrier l’a peut-être abandonné ici après avoir accompli son rituel !
— Bonne idée, approuva Artem.
Il ordonna aux gardes de passer au peigne fin la clairière et les buissons alentour. Puis il fit signe à Philippos de s’éloigner et s’accroupit pour examiner le cadavre. Soulevant la jupe de Marfa, il dénuda son bas-ventre tailladé par le couteau de l’assassin. Il réprima un frisson et s’empressa de rajuster le tissu imbibé de sang. En croisant le regard inquisiteur de Philippos, il acquiesça d’un hochement de tête. Le meurtrier avait agi de la même façon que les fois précédentes : après s’être livré à l’acte de chair avec sa victime, il l’avait égorgée puis s’était acharné sur le corps de la malheureuse. Le droujinnik se redressa et alla se laver les mains dans un seau d’eau apporté par un serviteur.
Entre-temps, les soldats avaient terminé de fouiller la clairière. Au grand dépit de Philippos, ils n’avaient découvert aucun récipient. À présent, la langue lui démangeait de raconter au droujinnik comment il avait trouvé une aryballe vide au cours de la fête chez Nadia, mais il était honteux d’avoir gardé un élément aussi important par-devers lui. Il décida de l’avouer à la première occasion.
Les gardes chargèrent sur la civière le corps ensanglanté de Marfa qu’une servante avait recouvert d’un drap et se dirigèrent vers la sortie du jardin, suivis d’Artem et de Philippos. En passant devant la maison, ils tombèrent sur Grom qui venait d’arriver.
— Par le Christ, qui a bien pu commettre une telle atrocité ? s’exclama le marchand. Et pourquoi ici ? Quand je suis parti après le déjeuner, Marfa allait prendre congé. Philippos, que s’est-il passé ?
— Ni lui ni ta fille ne se doutaient de rien, répondit Artem. Ils se croyaient seuls dans le jardin, n’est-ce pas, mon garçon ? ajouta-t-il d’un air innocent.
Philippos devint cramoisi.
— Nous n’étions pas tout à fait seuls, Fania nous tenait compagnie, mentit-il. Nous discutions… des fiançailles de Nadia !
Le marchand haussa ses sourcils touffus. Laissant Philippos se dépêtrer de cette situation délicate, Artem partit interroger Nadia. Il trouva la jeune fille dans sa chambre, assise sur un coffre à vêtements en compagnie de sa nourrice, qui ne sortit que lorsque le droujinnik menaça de l’accuser d’entrave à la justice. Quant à Nadia, elle paraissait moins hébétée que tout à l’heure, mais embarrassée et anxieuse. Elle ne cessait de s’agiter sur son siège et lançait à Artem des regards affolés. Devinant ses craintes, il lui promit de ne rien révéler à son père. Alors elle
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