Le Sang d’Aphrodite
conduite s’il la laissait faire !
— Ce comportement s’explique sans doute par l’amour qu’elle lui porte.
— L’amour ? Elle ignore la signification de ce mot ! Ce n’est d’ailleurs pas surprenant. Pendant ses jeunes années, elle se vautrait dans la luxure. Depuis qu’elle s’est convertie, elle ne connaît que l’austérité de la vie monacale. L’ancienne pécheresse est devenue une dévote revêche et aigrie, voilà toute la divine métamorphose !
Les traits délicats de Svetlana s’assombrirent. Elle se leva et se mit à arpenter la pièce.
— Sais-tu, boyard, ce qu’elle a osé me dire ? Que j’aime trop mon mari ! poursuivit-elle avec un sourire amer. Comment peut-on reprocher de trop aimer ? Elle prétend que je lui pardonne trop de choses. En fait, il ne s’agit que de vétilles, de fantaisies sans conséquence. Mais au-delà des apparences, il y a une vérité qui ne trompe pas. Regarde, boyard : je la porte en moi !
La jeune femme s’arrêta à côté d’Artem en caressant son ventre. Impressionné par ce geste éloquent, le droujinnik leva les yeux : rose d’émotion, Svetlana rayonnait d’un bonheur tranquille et confiant.
— Ton mari est-il au courant ? s’enquit-il.
— Pas encore. Moi-même, je ne suis certaine de cette heureuse nouvelle que depuis peu de temps. Je la lui annoncerai au moment voulu. En attendant, je compte sur ta discrétion, boyard.
— Sois sans crainte à ce sujet, dame Svetlana, promit le droujinnik.
Il voulut ajouter la formule de bénédiction traditionnelle, mais il n’en eut pas le temps. Igor, vêtu d’un manteau d’intérieur bleu enfilé par-dessus une tunique et des chausses claires, pénétra dans la pièce et s’immobilisa en apercevant Artem. Il avait les joues en feu, ses épais cheveux châtains étaient mouillés et frisaient sur sa nuque et son cou. Tout en lui exprimait une satisfaction intense, une joie de vivre presque insolente.
— Mais où étais-tu ? Je te croyais parti avec ta sœur, s’exclama Svetlana en considérant avec perplexité la tenue de son mari.
— Comme tu vois, j’ai eu le temps de rentrer et de me prélasser dans un bain parfumé, répondit Igor d’un ton enjoué, avant de s’adresser à Artem : N’ordonne pas de me châtier, boyard, j’ignorais ta présence ici.
Il s’inclina d’un mouvement souple puis, sur un signe du droujinnik, s’installa dans un fauteuil et se servit une coupe de vin de cerise.
— Que nous vaut l’honneur de ta visite ? dit-il sans toucher à sa boisson.
— Je suis à la recherche de renseignements sur certains parfums rares, appréciés de fins connaisseurs tels que toi, expliqua Artem. Que sais-tu sur le Sang d’Aphrodite ?
— J’ai eu l’occasion de m’en servir, répondit Igor sans broncher. Pas souvent, hélas ! C’est une fragrance exquise mais beaucoup trop chère, même pour un homme qui a les moyens de satisfaire ses lubies.
— Te rappelles-tu le nom de l’apothicaire qui t’a vendu cet élixir ?
Igor sourit de toutes ses dents et écarta les mains.
— Je n’ai aucune mémoire des noms, boyard ! En outre, ce n’était pas ici mais à Tsar-Gorod. On ne trouve cette essence que chez les parfumeurs agréés par le Palais impérial du basileus, ou encore par la guilde des apothicaires.
Artem s’apprêtait à poursuivre, mais Igor le devança.
— Inutile de me demander à quand remonte ce voyage, je n’en ai aucun souvenir ! Je me suis rendu à Byzance à plusieurs reprises ; les dates sont consignées dans le registre municipal de Tchernigov, tu n’as qu’à le consulter ! Quant à l’élixir qui t’intéresse, ça m’étonnerait qu’on puisse s’en procurer dans notre ville. Même les marchands de produits exotiques n’en ont pas en réserve !
— Il faut croire que certains de nos concitoyens parviennent à contourner cette difficulté.
À nouveau, Igor esquissa un sourire désinvolte.
— Quels veinards ! Si j’en connaissais un, je lui rachèterais volontiers une fiole de cette essence délectable !
— En as-tu vraiment besoin ? Je suis certain que tu continues à en user régulièrement. Tiens, pas plus tard que tout à l’heure, en prenant ton bain !
De fait, Artem était sûr de percevoir à nouveau les effluves du Sang d’Aphrodite qui venaient se mêler aux exhalaisons des fruits mûrs et des fleurs du jardin. Cette odeur était revenue le hanter en même temps que le
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