Le Sang d’Aphrodite
mélancolique. Il aurait voulu chasser cette ombre par un baiser, mais il osa seulement se pencher vers elle et plonger ses yeux dans les siens. Il se doutait que Vesna lisait en lui à livre ouvert – et voilà qu’il vit ses traits s’éclairer d’un sourire rassurant. Il la serra brusquement contre lui, inspirant le parfum de ses cheveux. Comme Vesna s’abandonnait dans ses bras, il sentit une vague de désir monter en lui… Mais il s’empressa de desserrer son étreinte et s’éloigna en toute hâte, sans dire un seul mot et sans se retourner.
Ayant refermé le portillon derrière lui, Artem longea la ruelle d’un pas pressé en direction du carrefour éclairé par une torche fixée à un poteau. Ni lui ni Vesna n’avaient remarqué une silhouette noire qui s’était détachée de la palissade pour se glisser furtivement le long de la rue à la suite du droujinnik. Quelques minutes plus tard, alors qu’il s’approchait du portail de la résidence, il vit l’un des gardes se précipiter vers lui.
— Boyard, ton fils est de retour ! Lui et les Varlets ont amené un prisonnier. Ils t’attendent au Tribunal, dans la salle d’interrogatoire.
À la différence de la prison située au sous-sol du palais, où le bourreau régnait en maître, le Tribunal disposait de sa propre salle d’interrogatoire utilisée par les magistrats au cours de l’instruction. Elle était située dans la partie arrière de l’édifice qui abritait en outre le cabinet du receveur de plaintes, ainsi que les pièces assignées aux percepteurs d’amendes, collecteurs de taxes et autres fonctionnaires au service du prince.
Lorsque Artem pénétra dans la salle éclairée par quelques torches murales, il aperçut d’abord Vassili. Le visage impassible, le Varlet était installé à la place du greffier, devant un pupitre chargé de tablettes de cire. Mitko et Philippos se tenaient au fond de la pièce, debout devant la silhouette recroquevillée sur le banc des accusés. Vêtu d’un caftan de soie mordorée, l’homme avait le coude sur le genou et le front posé sur sa main aux doigts bagués. Comme Artem s’approchait, il leva son visage auréolé de boucles brunes et ses yeux bleus scintillèrent à la lueur des torches. C’était Kassian. À son tour, il reconnut le droujinnik et s’écria :
— Boyard, te voilà en présence d’une injustice flagrante ! Pour quelle raison me retient-on ici ? Je n’ai rien fait qui soit contraire à la loi !
— L’impudent coquin ! s’indigna Mitko en serrant les poings.
Artem leva la main pour intimer le silence.
— Boyard Kassian, tu as tenté d’enlever Nadia, fille de Grom. Par ce geste indigne, tu as déshonoré une jeune fille honnête et tu mérites le châtiment prévu par…
— C’est faux ! l’interrompit Kassian. Elle était consentante ! Désormais, c’est ma fiancée. Dès que cette histoire grotesque sera terminée, nous allons rompre le fromage en toute légalité, et nous nous marierons.
— Tu as arraché cette jouvencelle à son foyer, profitant lâchement de l’absence de son père ! rétorqua Mitko. Nous n’aurons aucun mal à trouver les sept témoins exigés par la loi pour prouver ce fait.
— Crois-tu m’impressionner avec tes sept témoins ? ricana Kassian. Moi aussi, je connais la loi. Tant que le père de Nadia ne portera pas plainte, vous ne pourrez m’accuser de rien ! Et je parie que Grom préférera au scandale un arrangement à l’amiable, surtout quand sa fille lui confirmera qu’elle veut ceindre la couronne du mariage avec moi.
Le droujinnik lança un coup d’œil surpris à Philippos. Le visage renfrogné, celui-ci haussa les épaules. Artem ordonna aux Varlets de continuer à interroger le prévenu, puis entraîna le garçon vers le côté opposé de la salle.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il. Je suppose que ce misérable a menti… Ou alors, c’est ta belle qui continue à te faire tourner en bourrique ?
— Hélas ! Il ne ment qu’à moitié, ce maudit coq paré des plumes du paon, répondit Philippos avec amertume. Pendant que les Varlets et moi ramenions Nadia chez elle, j’ai essayé de la raisonner. Rien à faire ! Elle prétend qu’elle a décidé de suivre Kassian de son plein gré. Paraît-il pour empêcher son père de s’opposer à leur mariage.
— Ma foi, Grom se laissera peut-être amadouer si Kassian a des vues sérieuses sur sa fille, commenta Artem.
— Il a des
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