Le Sang d’Aphrodite
vues sur sa fortune, oui ! explosa Philippos. Ce bellâtre n’est qu’un coureur de dot, alors que moi, j’aime vraiment Nadia ! Ne voit-elle pas que je lui porte autant de respect que d’admiration ?
Artem scruta son visage bouleversé. Il eut un pincement au cœur : le garçon était au bord des larmes. Comment reprocher à un être si jeune son excès d’affection et de délicatesse ? Et comment lui expliquer que ses sentiments pour cette péronnelle ne pouvaient le conduire qu’à mille sottises et à un échec humiliant ?
— Tu tends tes filets trop haut ! lâcha-t-il pour toute réponse.
— Eh quoi, dois-je agir comme ce vil suborneur ? Il cherche à corrompre une jeune personne innocente et, à force de persister, il réussira !
— Les femmes qu’on peut corrompre ne valent pas d’être défendues… ni même d’être corrompues.
— Tu parles comme le vieux désabusé que tu es ! Je me rappelle tes leçons, des adages du genre : « Une femme est comme ton ombre, fuis-la, elle te suivra ; suis-la, elle te fuira. » Moi, je ne raisonne pas comme ça ! Et ne me dis pas que je suis trop jeune. J’ai déjà été initié à l’apprentissage le plus dur : la guerre !
— Tu as raison, acquiesça le droujinnik d’un ton conciliant. Mais la femme, elle, est formée par l’amour et le malheur. Nadia n’a connu ni l’un ni l’autre.
Il s’interrompit car il se rendit compte que, involontairement, il comparait et opposait cette coquette écervelée à Vesna. Il songea que c’était sans doute injuste. Mais la défiance instinctive qu’il éprouvait envers ces frêles et perfides créatures, les jeunes filles, le poussa à poursuivre :
— Les jouvencelles de cet âge ont toutes les mêmes défauts, leur éducation leur rétrécit les idées ! Elles ne connaissent que le térem, les conseils de leurs nourrices et les confidences de leurs amies. Ces fleurs de serre poussent sur un terreau malsain, nourri de ragots et de rêves. Voilà pourquoi le premier venu peut les cueillir !
— Ce n’est pas faux, admit Philippos avec tristesse. C’est ainsi que ce flagorneur a fait tourner la tête à Nadia.
— Reste à savoir s’il saura emberlificoter aussi facilement son père, souligna Artem. Mais si Grom ne porte pas plainte, aucune accusation ne tiendra contre Kassian. Cela restera une affaire privée.
— Mais il y a un mystère là-dessous ! insista Philippos. Comment ce fourbe est-il parvenu à obtenir le consentement de Nadia ? Quel gage, quel argument secret a-t-il utilisé ?
— Quel argument ? répéta Artem en souriant. Le mieux connu du monde : il a misé sur l’impatience des jeunes filles à se faire épouser.
— Nadia avait une foule de prétendants !
— C’est ce qu’elle espérait te faire croire… ou alors, ils tardaient peut-être à se déclarer.
— Eh bien, moi, je n’hésiterai pas à le faire !
Artem perdit son sourire. Il ravala la réplique qui lui montait aux lèvres.
— Je te déconseille de proférer des engagements que tu ne saurais tenir ! Nadia rêve d’un beau mariage. À ses yeux, tu n’es qu’un jouvenceau sans terres qui passera sa vie à guerroyer dans l’armée du prince. Je crains que tu n’essuies un refus cinglant !
Comme Philippos boudait en silence, Artem le poussa doucement vers la sortie.
— Il est temps que tu ailles te reposer un peu, la soirée a été bien mouvementée sur la fin. Va, la nuit porte conseil !
Le garçon éprouva soudain une sensation de fatigue accablante. Toutes ses forces semblaient l’avoir abandonné. Il acquiesça d’un geste vague, prit congé des Varlets et quitta la salle.
CHAPITRE XVII
Le lendemain, Philippos fut réveillé par les cloches de la cathédrale du Saint-Sauveur qui sonnaient onze heures. Il dégringola de son lit, se maudissant d’avoir dormi si tard. Il se livra à des ablutions sommaires, enfila une tunique de lin propre, un caftan de soie safran et une chapka assortie bordée de castor. Il chaussa des bottes de cavalier en cuir souple, puis accrocha à sa ceinture son beau poignard au fourreau d’argent. Avec ce fier appareil, il espérait paraître à son avantage lors de l’explication qu’il comptait avoir avec Nadia. Avant de se rendre chez elle, il passa d’abord au Tribunal. Artem et les Varlets n’étaient pas là, mais un des greffiers lui apprit que Kassian avait été relâché tôt le matin, avec interdiction de
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