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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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garde de sa courte épée.
L’homme s’écroula à genoux, crispant ses mains sur sa gorge d’où cascadait un
flot carmin. Agnès parvint à se rétablir, à temps pour freiner sa monture que
la frénésie de la course et l’épuisement menaçaient de rendre incontrôlable.
Elle se tourna vers la clairière. Le troisième gredin avait disparu et Clément,
assis par terre, sanglotait la tête entre ses mains. Elle mit Églantine au pas,
flatta la belle encolure maculée d’écume blanchâtre, la calmant de douceurs,
puis revint au pas vers l’adolescent. Lorsque la jeune femme démonta en se
laissant glisser contre le flanc sombre agité de spasmes, elle crut s’affaler
au sol, ses jambes refusant de la porter. Elle détourna le regard afin de ne
pas apercevoir l’homme qu’elle venait de tuer et lutta contre les tremblements
qui l’agitaient. Une invraisemblable apathie la clouait sur place. Elle se
rapprocha de Clément au prix d’un effort. Il leva un visage noyé de larmes vers
elle en gémissant :
    — Vous l’avez tué. Vous avez
tué pour me sauver, pour moi…
    D’une voix plate qu’elle reconnut à
peine, elle s’entendit répondre :
    — Et je recommencerais si cela
s’avérait nécessaire.
    L’énormité de cette déclaration la
bouleversa bien moins que son implacable sincérité. Elle reprit :
    — Il ne s’agissait pas de vils
détrousseurs, n’est-ce pas ?
    — Non. Je l’ai d’abord cru,
mais non. Leur mission, car c’en était une, consistait à m’exécuter, et vous
aussi.
    — Alors vite, le coupa-t-elle,
il nous faut partir et rejoindre Souarcy. Je redoute que le troisième compère
n’aille quérir du renfort. Vite Clément ! Lève-toi aussitôt, il n’est plus
temps de tergiverser. Quant au temps de pleurer, il n’est pas venu. Debout, à
l’instant !
    Agnès se dirigea vers la jument et
posa son front contre son cou, sentant contre sa peau battre le sang qui
tempêtait dans les veines puissantes de l’animal. Toute pensée la quitta
jusqu’à ce que l’adolescent la rejoigne. Elle entendit derrière elle une petite
voix incertaine annoncer :
    — Votre épée, madame. Je l’ai
tirée de sa gorge et nettoyée comme j’ai pu sur… enfin, sur son surcot.
    Elle murmura, exténuée :
    — Il faudra donc que je dise
une prière supplémentaire ce soir. C’est la coutume lorsqu’un premier sang
endeuille une lame. Aide-moi à me mettre en selle, je te prie. J’ai
l’impression que mes jambes sont faites d’étoupe.
    Il la poussa comme il le put. Agnès
parvint à s’installer puis le hissa contre elle. Il murmura :
    — Madame… je vous aime tant.
N’est-ce pas un prodigieux miracle que nous ayons été réunis ?
    — Je t’aime tant, mon doux
chéri. Et non, il ne s’agit pas d’un miracle. Seul l’amour est un perpétuel
miracle. Le dommage… Le dommage est qu’on l’oublie trop souvent. Allons.
    Ils ne prononcèrent pas un mot
durant la première demi-lieue de leur retour vers Souarcy. Agnès tentait avec
une sorte de fébrilité de se souvenir de la scène qui venait de se dérouler,
qui avait coûté la vie à deux hommes. De cette scène durant laquelle elle avait
tué à deux reprises. En vain. Des bribes d’images, de sons, de sensations se
succédaient dans sa tête sans ordre apparent. Une bouche grande ouverte, un
heurt violent sur ses phalanges, l’intenable pression de l’étrivière qui lui
comprimait la cuisse, le son creux de chairs broyées, l’épuisement lorsqu’elle
s’était laissée glisser de selle. Rien d’autre. Si peu. Une sorte de panique
lui vint. Était-elle devenue un monstre, que la mort de ces deux hommes lui
laissât si peu de souvenirs, de blessures d’âme ? Au fond, autant
l’admettre, une crise de sanglots, un raz-de-marée de nerfs l’aurait soulagée.
Pourtant, ses yeux étaient secs. Quant à ses nerfs, ils l’avaient abandonnée.
    Elle s’entendit exiger d’un ton sans
appel :
    — Qu’allais-tu faire à la
Haute-Gravière, seul, et si tard ? Ta… désinvolture devient coupable,
Clément. Je m’étonne de te voir si peu raisonnable.
    Il tenta de protester
faiblement :
    — Il s’agissait d’un
traquenard, madame.
    — La différence, te
prié-je ? Il fallait bien que tu te déplaces pour y tomber. Ces gredins
n’auraient tout de même pas eu l’outrecuidance ou le peu de jugement de te
venir chercher jusqu’au manoir.
    — Vous avez raison. Quand je
pense que je

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