Le sang de grâce
Regardez
maintenant.
Il étala devant elle l’ancien pergamênê .
— Cette rose est la même qui me
guide depuis des années. Nous nous sommes longuement fourvoyés sur sa
signification. Les dés sont enfin jetés. La vérité est à portée de main. Que
faites-vous de cette rose ?
Annelette étudia durant quelques
secondes le vélin avant de déclarer :
— Faut-il croire que la fleur
indique une cache secrète ? En ce cas, il faudrait calculer à l’échelle sa
position dans le o de bibliotheca, afin d’avoir une estimation d’où elle se trouve en réalité dans le mur
ou le sol.
Dans le réticule qui ne lui quittait
pas la ceinture, Annelette récupéra une longue aiguille à échardes et s’en
servit comme règle. À demi allongée sur la grande table qui avait accompagné
tant des heures d’Éleusie de Beaufort, elle mesura les écarts entre la rose du
o et les traits du plan figurant les murs de la bibliothèque secrète,
l’escalier qui plongeait vers l’atelier de réparation et les hautes
meurtrières. Elle reporta ensuite les segments obtenus sur un bout de papier, à
petits points de plume. Elle leva enfin la tête et annonça :
— Bien. Il ne nous reste plus
qu’à évaluer l’échelle. Ainsi, le mur intérieur de la bibliothèque qui longe le
cloître fait deux aiguilles et un tiers. Chevalier, voudriez-vous, je vous
prie, parcourir ce mur, en posant un pied devant l’autre, afin de m’en donner
le compte.
Lorsqu’il revint deux minutes plus
tard, il pouffa :
— J’ai dû m’y reprendre à deux
fois, oubliant mon compte en chemin. Trente et un pieds plus une petite moitié [115] .
— Ce qui nous donne donc une
aiguille pour treize pieds et une grosse moitié.
L’apothicaire s’absorba ensuite dans
la traduction de ses dixièmes ou ses quinzièmes d’aiguilles, marmonnant pour
elle-même.
Leone adressa un sourire complice à
Clément, qui acquiesça d’un discret mouvement de tête. Ils venaient de faire un
prodigieux cadeau à Annelette Beaupré, en mettant ses indiscutables capacités
d’esprit à contribution. Un cri les fit sursauter. La sœur plaqua ses mains sur
sa bouche et murmura en excuse :
— Pardon… Il faut faire
silence, je sais. C’est l’exaltation. Je l’ai. La localisation. C’est dans le
mur qui fait face à celui que vous mesurâtes.
Annelette défit la cordelette qui
maintenait sa robe à la taille et la posa au sol en intimant :
— Posez votre pied, chevalier,
afin que je marque le bout de ceinture correspondant. Ainsi nous approcherons-nous
au plus près de la cachette.
Ils la regardèrent procéder durant
une dizaine de minutes, appliquant le bout de cordelette sur les murs, les
dalles. Soudain, elle tendit le bras et désigna sans un mot la pierre située
juste sous l’anneau scellé servant à glisser un flambeau.
— C’est ici. Enfin, du moins
est-ce l’endroit que désignent les calculs.
Ils palpèrent tour à tour, cherchant
une entaille, une mince anfractuosité qui puisse actionner un mécanisme
quelconque. En vain. Armé de la lame de sa dague, Leone attaqua les joints de
mortier. Un bon quart d’heure plus tard, il renonça. On ne jointoyait pas ainsi
une pierre destinée à être basculée ou extraite.
Une vive déception se peignit sur le
visage d’Annelette qui fonça vers le bureau afin d’y reprendre ses calculs. Le
chevalier se tourna vers Clément et s’enquit :
— Ton opinion ?
— Nous faisons fausse route.
— Comment peux-tu en être si
assuré ?
— En raison de cette épitaphe.
La solution s’y cache.
L’apothicaire redressa la tête,
réfléchit durant quelques instants puis demanda :
— Clément, voudrais-tu nous
retrouver ce cartulaire de chroniques dans lequel fut consigné le décès de
Guillaume d’Arville ?
L’adolescent s’exécuta. Annelette
parcourut la page, ponctuant sa lecture de bruits de gorge.
— Hummm… Voyez-vous, relatant
les événements après coup, les cartulaires sont parfois imprécis. En revanche,
ils ne sont jamais mensongers puisqu’ils doivent pouvoir servir de preuves.
Aussi leurs rédacteurs préfèrent-ils omettre quelques précisions plutôt que de risquer
la faute. Leur « honnêteté » en la matière est grandement aidée
puisque les escroqueries au cartulaire – et il en fut – sont très
sévèrement punies. Les chroniqueurs en prennent donc bonne graine. Si donc ce
cartulaire affirme que monsieur d’Arville mourut
Weitere Kostenlose Bücher