Le sang de grâce
prix d’un gigantesque
effort sur lui-même, il tira « la chose » vers lui, s’attendant au
pire.
Leone la lui arracha presque des
mains, la déplia et s’exclama en contemplant ce qui ressemblait fort à un pergamênê.
— C’est à n’y rien
comprendre ! Il s’agit du plan de l’abbaye des Clairets, identique à celui
que ma tante Éleusie de Beaufort souhaita que l’on me remette après son trépas.
(Soudain paniqué, il insista :) Es-tu certain qu’il n’y avait là-dedans
rien d’autre ?
— J’ai tâté chaque parcelle de
cette sépulture, frôlant les parois de pierre et même l’intérieur du couvercle.
À deux fois. Si le papyrus araméen est bien dissimulé dans ce temple, ce n’est
en tout cas pas sous ce gisant. Puis-je ? demanda-t-il en tendant la main
vers l’antique vélin [113] .
— Tu remarqueras que la
bibliothèque secrète figure sur le plan, preuve qu’elle fut conçue dès le début
de la construction, indiqua Francesco de Leone d’une voix que le découragement
avait gagnée.
— En effet. Regardez… là, tout
en bas, on distingue une signature… Approchez l’esconce, je vous prie. Ah… Gui…
l… rmus d… Arid… vill…, déchiffra-t-il. Guillermus de Aridavilla ! Il a
donc authentifié le plan.
Leone inclina la tête vers le vélin
et commenta :
— Étrange, celui que j’ai en ma
possession ne porte nulle signature.
Clément poursuivit son inspection,
s’aidant de la faible lueur dispensée par l’esconce. Et soudain, il la vit,
minuscule, dissimulée pour partie dans le o du mot bibliotheca [114] . La rose.
D’une voix heurtée d’émotion, il
murmura :
— Le papyrus se trouve aux
Clairets, dans la bibliothèque secrète.
Leone n’eut nul doute que le garçon
avait vu juste. Un chagrin très doux le submergea. Éleusie, douce Éleusie.
Savait-elle d’où elle se trouvait maintenant qu’elle avait gardé durant des
années un secret si important, si précieux qu’il avait coûté la vie à tant.
Repose en paix, ma très chère mère. Je reprends le flambeau après toi.
Lorsque Leone fixa le couvercle
partiellement repoussé, Clément le devança d’un ton sans appel.
— Je n’en puis plus,
chevalier ! Les épaules me brûlent. Tant pis, cela restera ainsi. Nul
sacrilège puisque le tombeau était vide de dépouille.
— Tu as raison. Allons.
Profitons de la nuit pour sortir en ribleurs.
Manoir de Souarcy-en-Perche,
janvier 1305
None venait de sonner lorsqu’ils
parvinrent au manoir, fourbus, dodelinant tous deux de la tête sur leurs
montures. Un agacement de fatigue gagnait Mariolle qui soufflait, secouait
hargneusement la crinière, et Francesco de Leone ne fut pas fâché de le confier
à Gilbert le Simple. Il se traîna jusqu’à la grange et s’échoua sur sa couche
de paille. Clément avait disparu comme par enchantement. Leone aurait parié
qu’il était déjà en train de narrer dans le moindre détail leur aventure à sa
dame. Il espéra que le garçon songerait à se faire panser. Une autre longue
nuit les attendait. Lorsqu’il s’éveilla peu après complies d’un sommeil de
brute, la tête lui tournait un peu. Une faim assez agréable lui tiraillait
l’estomac.
Après de sommaires ablutions dans
l’eau glacée de l’alveus, il rejoignit la grande salle commune. Son couvert
était dressé. Agnès et Clément venaient tout juste de terminer leur repas composé
d’un hachis de poireaux à la poitrine de porc et au safran. Adeline leur avait
ensuite préparé un gravé de passereaux mangeurs de graines de lin auxquels on
donnait parfois le nom de linottes. Les oiselets étaient dorés dans du lard
puis mijotés quelques minutes dans un bouillon de viande aromatisé de
gingembre, de fleur de cannelle, sans oublier un gobelet de verjus et de vin
rouge. Une merveille, délicate cependant de dégustation si l’on souhaitait ne
pas bâfrer à la répugnante manière d’un Eudes de Larnay. Avait suivi l’issue,
un nougat noir aux amandes et lamelles de pommes sèches.
— Prenez place, monsieur, et
restaurez-vous, invita Agnès. Quelques mots cependant, poursuivit-elle d’un ton
sec. Vous m’avez ramené Clément entier et je vous en sais gré. En revanche, ses
épaules sont meurtries comme s’il avait été roué de coups. Il semble que vous
projetiez une nouvelle équipée nocturne ?
— Je vous demande humblement
pardon, madame, et à Clément aussi. Si je l’avais pu, je me serais
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