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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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moindre détail. En vérité, la mort
n’était pas si terrorisante qu’on le prétendait. Elle se montrait même plutôt
généreuse avec sa nouvelle proie. En effet, il sembla nettement à madame de
Beaufort que ses sœurs tant aimées s’assemblaient autour d’elle. Le rire de
Claire cascadait dans sa mémoire, Clémence déposait un baiser sur son âme et
Philippine lui frôlait la joue.
    Henri, mon doux époux… je vous viens
tous rejoindre enfin. Que la route fut longue et semée d’embûches jusqu’à vous.
Qu’elle fut solitaire aussi. J’ai toujours eu si froid sans vous. Là… ne
dirait-on pas que je me réchauffe enfin.
    Un dernier effort, un dernier.
    Elle parvint à décoller à nouveau
les lèvres :
    — À… mie. Vis, am… ie.
    Une dernière expiration pénible. Son
diaphragme se figea tout à fait. Il lui sembla qu’une grande vague rouge noyait
son cerveau, estompait les contours du monde.
    Un cri, l’ultime. Son corps se
souleva en arc de cercle des dalles glaciales, ne reposant plus que sur
l’arrière de son crâne et ses talons. Il retomba, sans vie.
    — Madame, madame… ?
sanglota Annelette. Non. Non, cela ne se peut ! Non, c’est injuste, trop
injuste ! C’est de ma faute, c’est de ma très grande faute. Je me suis
hâtée, préparant cette décoction sans un instant penser que la vaurienne avait
pu mêler sa poudre immonde à mes simples. Je suis coupable de stupidité et de
négligence !
    Et soudain une indicible rage la
secoua. Elle se traîna à genoux vers la porte et hurla à pleins poumons :
    — Crève, monstresse !
Crève et pourris au fin fond de l’enfer pour l’éternité ! Même si je dois
t’y envoyer de mes propres mains !
    Une cavalcade, la porte poussée
brutalement. Le cri joint de deux femmes qui découvraient l’horrible scène.
Thibaude de Gartempe et Berthe de Marchiennes, la sœur cellérière. Thibaude
s’accroupit à côté d’Annelette en pleine crise nerveuse. L’apothicaire,
incapable de maîtriser ses vociférations, bagarra comme une furie contre l’étreinte
de sa sœur :
    — Crève ! Je te crèverai,
s’il le faut…
    — Annelette, je vous en
prie ! Calmez-vous… C’est fini. Calmez-vous. ANNELETTE, cessez ! Il
nous faut nous occuper du corps de notre bonne mère.
    Le hurlement de bête de
l’apothicaire cassa net et elle dévisagea l’hôtelière d’un regard de démente.
Puis, la nuée ténébreuse qui obscurcissait ses iris bleu pâle s’estompa. Elle
murmura :
    — Mon Dieu…
    Aidée de Thibaude, elle se releva.
Berthe se tenait debout, figée à quelques centimètres de l’abbesse défunte,
livide comme un spectre. Elle balbutia :
    — Cet endroit est maudit. J’en
suis certaine maintenant.
    — Vieille folle ! feula
Annelette. La seule chose qui soit maudite en ces lieux, c’est l’enherbeuse.
J’ai besoin de votre clef du coffre, dernière volonté de notre mère. Hâtez-vous
de me la donner et sortez, toutes les deux. Je vous enverrai plus tard quérir
afin que nous détruisions ensemble le sceau.
    — Mais…
    — C’est un ordre !
    Berthe tenta une faible opposition
en argumentant :
    — Étant entendu le grand âge de
Blanche, notre bien-aimée doyenne et gardienne de sceau, je suis de fait et
jusqu’à la nomination d’une autre abbesse, la…
    — Vous n’êtes rien du
tout ! lança l’apothicaire d’une voix cinglante. Rien, si ce n’est l’une
de mes suspectes. Votre clef.
    La mine chagrine de la cellérière se
fripa un peu plus. Elle tira le cordon de cuir qui pendait à son cou et le jeta
au visage de l’autre femme avant de sortir escortée de Thibaude.
    Annelette Beaupré souleva sa robe et
dénoua la cordelette passée autour de sa taille, qui retenait la deuxième clef.
    L’idée fugace que le plus éprouvant
lui restait à faire lui traversa l’esprit lorsqu’elle s’assit contre le cadavre
de l’abbesse. Pourtant, une infinie douceur la submergea. Elle releva
précautionneusement la tête de la défunte et faufila la main sous le col de sa
robe. La mort avait emporté avec elle l’obscène rigidité des membres et des
mâchoires, rendant à Éleusie sa dignité de belle dame vieillissante. Annelette
récupéra la troisième clef et resta là, la tête de l’amie découverte trop tard
reposant sur ses genoux.
    Les derniers mots d’Éleusie avaient
été : « Amie. Vis, amie » et cette phrase heurtée avait
dédommagé l’apothicaire d’une vie

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