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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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d’âpre solitude imposée, dont elle avait
mesuré depuis peu à quel point elle l’avait détestée. Elle caressa le front
encore trempé de sueur et y déposa un baiser avant de se relever et d’ouvrir le
coffre à l’aide des trois clefs. Elle repéra immédiatement une clef épaisse,
sans doute un double ouvrant les appartements de l’abbesse et une autre, plus
courte, ainsi que l’épaisse missive scellée sur laquelle reposait le sceau.
Dessus avait été tracé de la haute écriture fine qu’elle connaissait comme la
sienne :
     
    À remettre à mon bien cher neveu,
Francesco de Leone, après mon décès. Nul autre n’est bienvenu à prendre
connaissance de ces lignes et en répondrait sur son âme s’il passait outre
cette injonction d’une trépassée. Dieu est mon Sauveur et mon Juge.
     
    Annelette passa en revue les autres
documents, actes d’achat ou de vente de terre ou d’immeubles, de cessions de
forêts ou de moulins. Elle récupéra le pergamênê des plans dont lui avait parlé l’abbesse afin de le mettre, lui aussi,
en lieu sûr. Le seul endroit qui lui vint à l’idée n’était autre que la
bibliothèque. Elle souleva la tapisserie et découvrit la porte basse.
    Munie d’une des lampes à huile
qu’elle avait allumées une éternité plus tôt, elle avança dans la haute et
vaste salle. Un courant d’air glacial lui frôla la tête et elle leva le regard
vers les longues meurtrières horizontales qui ouvraient tout en haut des murs.
En dépit du chagrin suffoquant qui lui broyait la poitrine, elle déglutit
d’émotion, bouleversée, effleurant des yeux les centaines de volumes réunis en
ce lieu, osant à peine s’en approcher.
    Essoufflée, respirant bouche
ouverte, elle lutta contre la crainte superstitieuse qui la paralysait.
Soudain, une sorte de frénésie la jeta vers les rayonnages. Elle déchiffra les
titres, soufflant d’admiration, gémissant de convoitise devant tant de science,
de connaissance réunie. Mon Dieu… être autorisée à demeurer là de longs mois, à
tout lire, tout apprendre… Une angoisse l’étreignit : et si la nouvelle
abbesse nommée [54] décidait de détruire ces merveilles, ou qu’on le lui ordonnait ?
Annelette frémit à cette perspective. Elle allait conserver la clef jusqu’au
retour du chevalier de Leone. Quelle terrible peine allait être la sienne,
encore plus que celle qu’elle éprouvait. Annelette avait senti tout l’amour de
madame de Beaufort pour son fils adoptif et ne doutait pas qu’il fut
réciproque.
    Il lui fallait faire vite au risque
de voir débouler Berthe et Thibaude d’une minute à l’autre. Ces deux sottes
étaient capables de se mettre en tête qu’elle profitait de quelques instants de
solitude pour forger des faux à l’aide du sceau. Les petites âmes craignent le
plus souvent des autres ce qu’elles seraient capables de commettre.
    Elle déposa la lettre et les plans
sur une étagère et son pied heurta un objet. Elle se baissa et découvrit dans
la semi-pénombre, à peine trouée par la faible flamme de sa lampe, le grand
panier d’osier dans lequel elle avait empilé tous les sachets et les fioles des
toxiques de l’herbarium afin de les confier à l’abbesse. Ainsi, c’était là que
sa mère les avait cachés.
    Quel était ce poison si rapide qui
provoquait de telles convulsions et un tel roidissement des muscles ? Le
même avait été utilisé pour assassiner Yolande de Fleury, elle l’aurait juré.
La sœur grainetière avait dû bagarrer contre l’asphyxie de paralysie, se
griffer la gorge pour contraindre l’air à y dévaler avant que ses bras ne
cessent de lui obéir.
    Un animal. Le poison avait un
rapport avec un gros animal. Aucune autre bribe de souvenir ne lui revînt.
Peut-être la solution se trouvait-elle au milieu de ces ouvrages ?
    Non ! Pas seulement des
griffures. Les marques étaient beaucoup trop étendues, remontant jusque sous le
nez. Les cris d’Éleusie chaque fois qu’Annelette l’avait touchée.
Souffrait-elle affreusement au moindre contact ? Annelette imagina la
meurtrière cette nuit-là, dans le dortoir. La maudite ! Elle avait plaqué
avec fermeté l’une de ses mains contre la gorge de Yolande, l’autre sur sa
bouche en bâillon afin de l’empêcher de proférer un son. Tout le temps que
durait son agonie, elle avait regardé sa sœur mourir. Nul pardon ne lui serait
accordé, ni ici ni plus tard. Et Annelette jura sur sa vie, sur son âme

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