Le sang de grâce
que le
châtiment fondrait bientôt sur la tueuse et qu’il serait terrible.
Une autre pièce de la mosaïque se
mit en place : Éleusie avait été tuée parce que la meurtrière attendait
que soit levée l’interdiction de sortie avec fouille à corps, à ballots et à
chariots. Les manuscrits. Ils ne devaient à aucun prix tomber aux mains de
leurs ennemis. Annelette s’efforcerait de contrer l’enherbeuse, par n’importe
quel moyen, quitte à compenser son insuffisance hiérarchique par l’arrogance,
comme elle venait de le faire avec Berthe et Thibaude. Blanche de Blinot, en
dépit de son âge et de sa faible tête, pouvait légitimement revendiquer la
place de vice-abbesse. Cependant, l’apothicaire ne doutait pas que l’assassine
parviendrait à manipuler sans grand tracas la vieille femme à demi sénile.
Quant à Berthe de Marchiennes, même débarrassée de sa suffisance passée, elle
était au fond si sotte qu’elle se ferait elle aussi gruger par de belles
paroles et quelques flagorneries bien placées.
Annelette Beaupré lutta contre le
découragement sournois qui rampait dans son esprit. Elle trouverait un moyen
d’empêcher la levée d’interdit de sortie.
Elle s’avança vers la porte basse
entrouverte lorsqu’une nouvelle conclusion s’imposa à elle, glaçante dans ce
qu’elle supposait d’intelligence perverse de la part de son ennemie
jurée : le mouchoir. Au fait de la particularité de certaines
maladies – notamment celles affectant la poitrine – de se transmettre
par les vêtements et effets personnels des malades l’assassine avait dérobé le
mouchoir de Jeanne, sans doute à la faveur d’un assoupissement, afin de le
placer à portée de main d’Éleusie. La petite constitution de cette dernière,
ajoutée à la fatigue et à l’inquiétude des derniers mois, avait fait le reste.
Il ne restait à la vipère qu’à surveiller l’évolution de la maladie et à
intoxiquer les potions qu’Annelette ne manquerait pas d’utiliser pour soigner
l’abbesse.
La tuer, de ses propres mains, s’il le
fallait. Annelette s’en sut capable. Pire, elle attendait de voir mourir les
yeux de la diablesse, comme elle avait vu s’éteindre ceux d’Éleusie de
Beaufort.
L’apothicaire ressortit rapidement,
verrouilla la porte et arrangea la lourde tapisserie avant de fermer le bureau
d’Éleusie derrière elle. Elle assisterait à l’enlèvement du corps. Personne ne
serait autorisé à demeurer dans les appartements de leur défunte mère tant
qu’elle parviendrait à l’éviter. Tant que la nouvelle abbesse ne serait pas
nommée et installée car alors Annelette devrait rendre les clefs.
Ah mon Dieu… je vous en
supplie : faites que Francesco s’en retourne bien vite.
Palais du Vatican, Rome, décembre
1304
Le camerlingue Honorius Benedetti
contempla l’air pénétré et la mine onctueuse du prélat français installé en
face de lui. L’évêque Foulques de Marzin attendait son conseil. Il ne tarda
pas :
— Mon bien cher frère… mon ami,
que vous répondre ? Certes, le roi de France et les autres souverains
d’Europe pèsent de tout leur poids politique dans la proche élection de notre
nouveau pape mais, au bout du compte, le conclave sera seul juge. Vous aurez
pour vous tous les prélats français qui ne souhaitent pas qu’un Italien accède
au Saint-Siège. Du moins ceux qui ont su conserver assez d’humilité pour
admettre qu’ils ne feraient pas de bons souverains pontifes ou qui
n’accorderont pas leur vote en échange d’une… compensation.
— À combien les évaluez-vous,
Éminence ? Ceux qui ne sont ni achetés – le vilain mot – ni
rongés d’ambition ?
Marzin amusait Benedetti. De bien
trouble façon, il l’admettait. Cet évêque, prêt à tout pour arracher le
Saint-Siège à ses concurrents, fronçait du sourcil, serrait les lèvres de
consternation en évoquant l’appétit d’honneurs et de pouvoir de ses rivaux. Le
camerlingue eut une pensée dérangeante, qu’il tenta d’écarter. Au fond, les
« autres », ses ennemis de l’ombre, ceux qui se battaient pour que
jaillisse ce qu’ils nommaient l’Infinie Lumière, lui ressemblaient. Ils avaient
l’implacable notion que leurs vies étaient de peu d’importance. Seul comptait
l’avenir. Certes, ils se trompaient de camp car les hommes étaient les hommes
et nul miracle, nul sacrifice d’un fils de Dieu crucifié ne les ferait changer
durablement. Ils
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