Le sang de grâce
pleuraient, priaient, suppliaient, et recommençaient leurs
calculs, leurs bassesses dès que le souvenir de la pureté martyrisée
s’estompait.
Benedetti revint à cet homme dont le
visage lui évoquait une pâte de fruits trempée de miel rance. L’envie de
l’inquiéter fut plus forte que le bon sens politique, lequel commandait de le
berner.
— Pour dire vrai ?
— C’est ce que j’espère de
vous, avec tout le respect qui est le mien.
— Fort peu.
Le miel abandonna le visage poupin
et violacé de trop riche chère. Foulques de Marzin se décomposa. Qu’elle était
donc distrayante, cette flaque adipeuse qui prêchait l’abstinence avec une
tonitruante prestance. Nul n’ignorait les incessants besoins d’argent de
monseigneur de Marzin, argent qui lui permettait d’entretenir une famille
vorace et quelques fort jolies et fort jeunes maîtresses. Que croyait-il ?
Qu’il pourrait les installer, telles les femmes d’un harem de sultan, aux
portes du Vatican ? Pourquoi pas, cela s’était déjà vu. Marzin venait
quêter une aide, un vote, en échange duquel il était prêt à concéder beaucoup.
Soudain cette scène, qui aurait
jadis délecté le camerlingue au point de la faire durer, cessa de l’amuser.
Il fallait que cette larve geignarde
disparaisse à l’instant. Sa présence suffoquait le camerlingue.
— Mon cher ami, vous savez en
quelle estime je vous tiens. Vous êtes une des lumières de notre Église. Soyez
assuré que mon vote vous est acquis.
Le visage gras tremblota d’émotion,
de satisfaction surtout.
— Si à Dieu plaisait que je
sois Son prochain représentant sur terre, croyez bien, Éminence, que je saurais
me souvenir de vos bienfaits et de vos innombrables qualités. J’aurai besoin
d’hommes de foi et de confiance à mes côtés. Merci tant à vous.
— Non, merci à vous, cher
Marzin, d’être ce candidat auquel je puis apporter mon soutien sans crainte
qu’il soit mal placé.
Honorius se leva pour signifier la
fin de l’entrevue. Croyant avoir obtenu ce qu’il était venu chercher, ce même
vote que le camerlingue avait déjà promis à une bonne dizaine de prélats
italiens ou français, Foulques de Marzin se précipita pour baiser la main qui
se tendait.
Enfin débarrassé de ce puant
calculateur, Benedetti partit dans l’un de ses monologues silencieux. Ces
derniers lui étaient infiniment précieux. À qui avait-il avoué la vérité depuis
des lustres, si ce n’était au fils de Dieu ?
Que croyais-Tu ? Que le sang
qui coulait de Tes mains et de Tes pieds rachèterait le monde ? Quel
séduisant mirage. Pourtant, nul ne peut le sauver. Tout juste peut-on différer
sa destruction. Il y a si peu de justes en Ton royaume, Sublime Agneau. Ton
troupeau se résume à une maigre tribu d’individus qui se font massacrer, qui
souffrent parce que les autres veulent répéter les péchés dont ils
s’accommodent fort bien et qui les rendent riches et heureux. Le péché peut
être si drôle, si confortable. La vertu est âcre, aride. Qui peut-elle
tenter ? Que dis-Tu ? Que mes ennemis de l’ombre font partie de Ta
minuscule tribu ? Cela est vrai. Pourtant, Tu sais que j’en suis, moi
aussi, et que j’endurerais mille morts pour l’amour de Toi. Cependant, je n’ai
pas le fol espoir de changer les hommes. Le jour où ils ne redouteront plus les
conséquences de leurs actes, plus rien ne les retiendra. Leurs folies, leurs
exactions deviendront la loi. Les plus faibles seront égorgés ou réduits en
esclavage. Seuls les forts, les cruels et les sanguinaires demeureront.
L’avenir se transformera en épouvantable cauchemar si nous les laissons faire.
Je veille à maintenir la peur. Je veille à raffermir la laisse qui les
maîtrise. Je serai honni ? Quelle importance. Ma vie est un calvaire
depuis le meurtre de Benoît. Sais-Tu ce que je pense parfois ? Que ce
monde est en réalité l’enfer. Il n’en est point d’autre.
Honorius Benedetti les détestait,
tous, presque tous. Ils le répugnaient. Pourquoi avait-il tant aimé Benoît,
alors même que le défunt pape était son plus obstiné adversaire ? Pourquoi
fallait-il qu’il se sente si étranger, si différent parmi l’innombrable troupe
de ses alliés, qu’ils fussent volontaires ou non ? Était-ce sa malédiction
de ne se sentir de fibres communes, d’âme familière, qu’avec ceux qu’il devait
écraser, éliminer ?
Un chambellan interrompit le cours
désespérant
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