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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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d’abord qu’il s’agissait d’une
ténébreuse coïncidence, au point que je commis la… forfaiture – le terme
n’est pas trop fort – de ne pas en aviser Rome. Boniface VIII*, notre
saint-père de l’époque, n’était pas de nos alliés. Au contraire, j’en informai
Benoît XI* dès son élection et je vous avouerai que sa réaction me surprit
fort. J’eus l’insistant sentiment que cette découverte n’en était pas une pour
lui… Ah, je m’agace moi-même ! Me voilà repartie dans les allusions quand
il n’est plus temps. (Éleusie acheva d’un ton précipité :) L’abbaye abrite
une grande bibliothèque secrète. Y sont en sécurité, du moins jusqu’à hier, des
ouvrages… si troublants, si dangereux qu’ils ne doivent en aucun cas tomber
entre des mains malfaisantes ou guidées par la cupidité.
    — En l’abbaye ? Une
bibliothèque secrète ? répéta Annelette, abasourdie. Où cela ?
    Éleusie dirigea son regard vers la
tapisserie qui tendait l’un des murs de son bureau et se contenta d’un seul
mot :
    — Derrière.
    — J’aurais dû m’en douter,
regretta l’apothicaire. Ce long mur extérieur qui fait suite à vos
appartements, dépourvu de fenêtres ou de portes… Depuis quand
existe-t-elle ?
    — Si j’en crois les plans
tracés sur l’antique pergamênê [4] serré dans mon coffre, la bibliothèque fut
prévue dès la construction de l’abbaye, il y a un siècle.
    — C’était donc ce parchemin que
voulait récupérer la meurtrière, et non votre sceau. Ses actes me deviennent
enfin compréhensibles.
    La stupéfaction que l’aveu de
l’abbesse avait engendrée en elle laissa place à la curiosité, à une excitation
fébrile, et elle ajouta d’un ton brusqué :
    — Renferme-t-elle des ouvrages
de… sciences par exemple ?
    — Certes, et des plus
ahurissants. Ils secouent les fondements même de ce que nous tenions pour
acquis.
    — Pourrais-je… J’ose à peine
vous supplier de me permettre d’en consulter certains, si toutefois… C’est que…
tant d’explications que l’on nous donne paraissent partielles, pour ne pas dire
insensées.
    Le doute effleura à nouveau Éleusie.
Si elle se fourvoyait encore plus gravement en se confiant à cette femme ?
Après tout, qu’avait-elle d’autre que les affirmations de l’apothicaire pour
juger de son honneur ? Si elle n’était qu’une espionne à la solde de leurs
ennemis ? Si elle était l’enherbeuse ainsi que l’avait affirmé Yolande de
Fleury, la douce sœur grainetière tant malmenée par la vie, peu avant de périr
empoisonnée ?
    — Les ordres de Benoît, notre
regretté saint-père, étaient formels. Nul autre que moi ne doit y accéder, sous
aucun prétexte.
    Le visage sans grâce de
l’apothicaire se ferma et Éleusie bagarra contre la rancœur qu’elle ressentait
soudain.
    — Il n’est nul temps pour ce
genre de discussion, ou pis de chamaille, déclara-t-elle, péremptoire. Ce que
j’ai à vous narrer est si urgent et si catastrophique qu’un caprice de votre
part serait fort mal venu.
    Annelette la dévisagea et un sourire
contrit étira ses lèvres.
    — Vous avez raison, ma mère.
Votre pardon, je vous prie. Mon excuse, si c’en est une, est que je donnerais
tant pour avancer de quelques pas de plus dans la connaissance.
    — Elle est parfois si
effrayante, argumenta Éleusie.
    — Non. Ce qui est effrayant,
c’est ce que les hommes sont capables d’en tirer. Si nous utilisons nos
avancées en anatomie pour mieux torturer plutôt que pour soigner plus
efficacement, la faute n’en revient pas à la science.
    Une douceur inattendue éclaira le
visage de l’abbesse qui commenta :
    — À vous entendre, il me semble
parfois retrouver mon cher neveu. Je souhaite tant qu’il me revienne bien vite.
Je me sens démunie… Ah, me voilà de nouveau repartie dans de mièvres jérémiades !
(Elle sembla soudain se décider et lança d’un trait :) J’ai passé ces
derniers jours en méticuleux inventaire. Trois manuscrits de la bibliothèque
secrète ont été dérobés à l’occasion de cette manœuvre de diversion. Leurs
titres ne me surprennent guère et prouvent, sans énigme, que l’incendiaire
savait ce qu’il cherchait. Je l’ai surpris sur le fait, vêtu d’une robe de
moine, encapuchonné au point que je n’ai pu distinguer ses traits. J’ai tenté
de lutter pour reprendre les ouvrages. En vain.
    — C’est pour cette raison que
vous

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