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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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gratitude est
gâchée si elle se porte sur ma misérable personne. Dites-lui, je vous prie, que
je suis son humble redevable, à jamais. Madame m’a offert le plus beau cadeau
que je pouvais espérer. Elle ne quittera plus jamais mes prières. Dites-le lui
bien, je vous en conjure… avec tout mon respect, messire.
    Artus eut le troublant sentiment que
le jeune homme s’adressait à lui comme s’ils partageaient un fabuleux et très
secret mystère. Pourtant, il s’égarait en conjectures. Décidé à en avoir le
cœur net, il proposa :
    — Je serais honoré que vous
acceptiez mon repas. Je me dois ensuite retourner à Authon.
    — Oh, monseigneur, l’honneur
est mien.
    — Connaissez-vous une auberge
où la chère serait moins affligeante que celle que l’on sert à la Jument-Rouge
et où nous pourrions bavarder en tranquillité ?
    — Si fait. L’auberge de la
Serfouette [87] , dans la rue des Petites-Poteries. On m’en a vanté les mérites.
(Soudain gêné, il précisa :) Toutefois… la chère y est subtile mais peu
économe.
    La remarque tira un sourire, vite
réprimé, de l’homme le plus fortuné du Perche après le frère du roi, monsieur
Charles de Valois*.
    — Voilà qui me plaît. La
Serfouette semble donc tout indiquée pour célébrer dignement la mort de ce
scélérat de Florin.
    L’auberge de la Serfouette était
tenue de main d’artiste par un cuisinier émérite, ancien frère de métier du
Temple. N’ayant jamais prononcé ses vœux, il avait quitté l’ordre soldat après
la défaite de la dernière croisade. De son aveu, le chagrin que lui avait causé
la perte de l’Orient chrétien et l’écrasante victoire des Sarrasins l’avait
dégoûté à tout jamais de suivre les troupes avec son chariot de pots et de
marmites. Dès le premier service, composé d’un vin doux accompagné de fruits,
Artus ne put que s’en féliciter, maître Serfouette ayant rapporté de ses
pérégrinations de par le monde d’étonnants et savoureux mélanges de recettes.
Le fumet exquis du deuxième service, pourtant bien modeste en apparence –
une souppe despourveue [88] , faite de bouillon de viande safrané, rehaussée de verjus et de persil
-, le conforta dans son appréciation.
    Ils bavardèrent, de choses et
d’autres : des récentes récoltes, de Guy d’Anderlecht [89] , paysan devenu sacristain, qui avait roulé sa bosse jusqu’à Jérusalem
après la faillite de son petit commerce. De retour dans son bourg, situé à
quelques lieues au sud de Bruxelles, il avait trépassé. Sans qu’on sût très
bien pourquoi, un véritable culte lui était voué depuis quelques années.
    Agnan se détendait peu à peu. Le
petit verre de vin qu’il venait d’ingurgiter avait enflammé ses joues pâles de
mal nourri. Il savourait avec délicatesse, inquiet de laisser paraître son
appétit. Une sorte de tendresse paternelle envahit Artus. Que croyait-il le
presque moine ? Que le comte ignorait le regard liquide que provoque la
faim qui se rassasie enfin ? Lui aussi en avait ressenti les dams au
hasard de ses errances de par le monde. Il décida donc d’attendre la fin du
troisième service, une gigue de chevreuil à l’aigre-doux, marinée dans un
mélange de vins blanc et rouge, de vin aigre et de gelée de coings.
    — Doux Jésus, quelle
magnificence, murmura Agnan qui venait de se rassasier pour une semaine.
    Maître Serfouette s’avança vers leur
table éclairée de bougies, quêtant les compliments qui fusèrent. En aubergiste
avisé, il ne s’attarda pas et disparut après leur avoir offert un verre
d’esprit de pomme propre à faciliter la digestion avant la suite de leur
festin.
    Agnan était maintenant cramoisi et
ce feu de joues ne devait plus rien à la timidité. Artus d’Authon se
lança :
    — Agnan, vous connaissez bien,
je crois, l’une de mes relations, le chevalier Francesco de Leone.
    L’autre se redressa et affirma d’un
ton que l’ivresse rendait ferme :
    — Il s’agit d’un être de
lumière, d’un cœur pur et brave. Un envoyé de Dieu dans Son infinie bonté. Il a
sauvé madame de Souarcy et défait le monstre des ténèbres.
    — Certes. Il m’a devancé de quelques
heures, ajouta maladroitement le comte que l’idée de n’avoir pas arraché Agnès
aux griffes inquisitoires rongeait toujours.
    La réaction du petit clerc malingre
le sidéra. L’autre lui claqua le bec d’un péremptoire :
    — Quelques heures,
dites-vous ? Savez-vous

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