Le sang des Borgia
Dieu.
Qu’il l’aimât à ce point ne fit que la pousser à lui montrer ce dont il avait été dépouillé.
— Le Saint-Père est souvent impitoyable. Ne vois-tu pas sa férocité, même si elle se dissimule sous les apparences de la raison ? Et l’ambition de César est proche de la folie, tu dois bien t’en rendre compte.
— J’en vois plus que tu ne crois, répondit Geoffroi en fermant les yeux.
Elle l’embrassa passionnément, et ils firent l’amour. C’était un amant tendre et prévenant – elle y avait veillé. Et il voulait plus que tout lui donner du plaisir.
Après, comme il restait silencieux, Sancia se dit qu’il fallait le mettre en garde, pour se protéger elle-même :
— Geoffroi, mon amour, si ta famille a tenté de tuer mon frère, ou du moins a laissé faire, crois-tu que nous serons longtemps en sécurité ? Crois-tu qu’ils nous permettront de rester ensemble ?
— Je ne laisserai personne nous menacer, dit Geoffroi d’un ton menaçant.
C’était moins une parole d’amour qu’une promesse de vengeance.
César avait passé la matinée à parcourir à cheval les rues de Rome, en posant des questions à tous ceux qu’il rencontrait : avaient-ils vu quelque chose ? Comme cela ne donnait rien, il revint au Vatican, où Alexandre lui rappela qu’il devait retrouver le cardinal Riario, pour discuter des cérémonies du jubilé.
Il se rendit donc dans le palais du cardinal, où tous deux déjeunèrent en tête-à-tête sur la terrasse, tout en évoquant les fêtes qui auraient lieu à cette occasion, comme le nettoyage bien nécessaire de la ville.
Ensuite, ils se rendirent à pied jusqu’à une boutique d’antiquités voisine, dont le propriétaire avait fait savoir à Riario qu’il voulait lui montrer une sculpture superbe, qui pourrait intéresser le cardinal, grand collectionneur.
César et lui furent accueillis par un homme âgé au fort strabisme, aux longs cheveux gris, qui les fit entrer.
— Giovanni Costa, lui dit Riario, voici le grand César Borgia, capitaine-général des armées du pape, que j’ai invité à venir voir tes statues.
Costa, leur faisant traverser la boutique, les conduisit jusqu’à une cour remplie de statues – ou plus exactement de fragments : bras, jambes, torses… Dans un coin, on devinait quelque chose dissimulé sous un tissu.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda César en le montrant du doigt.
D’un air théâtral, Costa ôta l’étoffe :
— C’est sans doute la pièce la plus magnifique que j’aie jamais eue en ma possession !
Sans s’en rendre compte, César eut une exclamation étouffée. C’était un Cupidon de marbre superbe, aux yeux mi-clos, aux lèvres pleines, à l’expression à la fois rêveuse et pleine de désir. La pierre était si translucide que la statue paraissait sculptée dans la lumière, les ailes si délicates qu’on aurait cru que le chérubin allait s’envoler d’un instant à l’autre ! La beauté, la perfection de l’œuvre étaient telles qu’on on restait le souffle coupé.
— Combien ? demanda César.
Costa prétendit ne pas vouloir la vendre :
— Quand on saura que je l’ai, le prix grimpera jusqu’aux cieux.
César éclata de rire et répéta :
— Combien ?
Il songeait à Lucrèce ; elle serait ravie d’un tel cadeau.
— Pour Votre Excellence, deux mille ducats seulement.
Avant que César ait pu répondre, le cardinal Riario s’approcha pour étudier la sculpture de plus près, la toucher du bout des doigts.
— Ce n’est pas là un objet ancien, dit-il. Mon sentiment me dit qu’il est très récent.
— Cardinal, vous avez l’œil ! répliqua Costa. Je n’ai jamais prétendu que c’était une antiquité. On la doit à un jeune artiste de Florence.
— Je ne collectionne pas l’art contemporain, dit Riario en secouant la tête. Et surtout pas à un prix aussi exorbitant ! Venez, César.
Mais ce dernier restait sur place, fasciné.
— Peu m’importe de quand elle date, ni quel est son prix, je la veux !
— L’artiste et son représentant doivent toucher leur part, dit Costa d’un ton d’excuse. Et le transport est si coûteux…
— Restons-en là ! s’exclama César. Ta tâche est terminée, je te donnerai ce que tu veux. Qui en est l’auteur ?
— Michelangelo Buonarroti, dit Michel-Ange. Il a du talent, non ?
Rome était pleine de rumeurs. On dit d’abord que César avait tué un autre de ses frères, puis que les Orsini,
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