Le sang des Borgia
d’estrade de bois où s’affrontaient des jeunes gens couverts de sueur.
César chercha dans la foule un adversaire qui fût à sa mesure. Il aperçut ainsi un homme de haute taille – une bonne tête de plus que lui, massif et chauve. On lui dit que c’était le champion local, un paysan nommé Zappitto.
— Mais, ajouta son interlocuteur, il ne combattra pas ce soir.
César alla le voir.
— On m’a parlé de ta réputation, ami, lui dit-il. Me ferais-tu l’honneur de m’affronter ?
Zappitto eut un grand sourire qui révéla de très mauvaises dents. Vaincre le fils du pape lui vaudrait l’admiration générale ; il accepta donc sans hésiter.
César et lui ôtèrent leur veste, leur chemise et leurs bottes. L’homme avait des biceps et des avant-bras deux fois plus gros que ceux de son adversaire. C’était très exactement le genre de défi qui plaisait à César.
— En deux tombers ! s’écria l’arbitre, et la foule se tut d’un coup.
Tous deux tournèrent l’un autour de l’autre, puis brusquement Zappitto se précipita vers son adversaire. Mais César, se dérobant, se jeta de tout son poids dans les jambes du colosse, qu’il renversa : l’homme fut projeté à terre et, stupéfait, n’eut pas le temps de se redresser : César lui fit toucher le sol des deux épaules.
— Un tomber pour l’adversaire ! lança l’arbitre.
Le silence céda la place à des cris et des applaudissements.
Puis l’on recommença. Zappitto n’avait rien d’un sot : cette fois, plutôt que de foncer tout droit, il préféra tourner autour de son adversaire. César se décida le premier : il tenta de lui faucher les jambes, mais c’était comme de frapper un tronc : rien ne se passa.
Zappitto, réagissant sans perdre de temps, s’empara du pied de César et le contraignit à des mouvements désordonnés, jusqu’à ce que la tête de César commence à lui tourner. Le colosse le saisit ensuite aux cuisses, le souleva sur ses épaules, le projeta à terre et se jeta sur lui.
— Un tomber pour le champion ! hurla l’arbitre au milieu des cris de la foule.
Il fallut un moment à César pour reprendre ses esprits.
Sans se décourager, il s’avança de nouveau. Son plan était de s’emparer des doigts de son adversaire, grâce à une prise qu’on lui avait enseignée à Gênes. Zappitto, pour se libérer, ferait un ou deux pas en arrière ; alors il lui faucherait les jambes et le ferait tomber.
César réussit à s’emparer de sa main et, de toutes ses forces, voulut en repousser les doigts vers l’arrière. Mais il découvrit avec stupéfaction qu’ils étaient aussi durs que des tuyaux de fer.
Suant à grosses gouttes, Zappitto referma sa main sur celle de son adversaire, lui broyant les jointures. Serrant les dents pour ne pas hurler, César avança le bras pour une prise au cou, mais le colosse s’en empara également et entreprit avec lenteur de lui écraser les deux mains.
La douleur était si horrible que César en eut le souffle coupé. Dans un ultime effort, il noua ses jambes autour de la taille de Zappitto et serra de toutes ses forces pour l’empêcher de respirer. L’homme eut un grognement sourd, mais se laissa simplement tomber en avant, lui faisant toucher le sol des deux épaules.
— Deuxième tomber ! lança l’arbitre. Partie gagnée !
Il leva le bras de Zappitto sous les acclamations de la foule : son champion avait gagné !
César serra la main de Zappitto et le félicita, puis prit sa veste pour y trouver sa bourse. Souriant, il la tendit à son adversaire en s’inclinant.
L’assistance céda à un fol enthousiasme, hurla, trépigna. Leur nouveau maître les avait bien traités et n’hésitait pas à partager leurs plaisirs ! Il dansait, luttait, et savait perdre avec panache !
Bien entendu, César ne prenait pas part à tous ces divertissements par seul plaisir, bien qu’il se soit beaucoup amusé. Il voulait se gagner les cœurs pour mieux atteindre son objectif : faire régner la paix dans la région et s’en assurer la maîtrise. La bonne volonté ne suffirait certes pas : il interdit à ses troupes de se livrer au pillage et au viol, ou de s’en prendre aux habitants des territoires qu’il conquérait.
Il fut donc furieux quand, moins d’une semaine après son combat avec Zappitto, par un froid matin d’hiver, on lui amena enchaînés trois de ses fantassins.
Le sergent qui venait les lui présenter s’appelait Ramiro da Lorca :
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