Le sang des Borgia
c’était un vieux briscard coriace, qui lui annonça que les trois hommes avaient passé la veille à boire.
— Pire encore, ajouta-t-il, ils sont entrés dans une boucherie, ont volé deux poulets, un rôti de mouton, et roué de coups le fils du boucher qui tentait de les en empêcher !
— Est-ce vrai ? demanda César aux prisonniers.
Le plus vieux d’entre eux – il n’avait pas trente ans – dit d’une voix geignarde et fausse :
— Votre Excellence, nous n’avons fait que prendre un peu de quoi manger. Nous avions faim, et…
— C’est un mensonge, Votre Seigneurie ! s’exclama le sergent. Ils sont payés régulièrement, comme les autres ! Ils n’avaient nul besoin de voler !
Alexandre avait toujours dit à César que, lorsqu’on commande aux hommes, il y a un moment où il faut faire des choix difficiles. Il regarda les trois hommes, puis la foule qui s’était rassemblée sur place.
— Pendez-les.
— Votre Excellence, dit le soldat comme s’il n’avait pas entendu, ce n’était qu’un peu de viande ! Rien de grave !
— Tu n’as pas l’air de comprendre, répondit César. Il ne s’agit pas de poulets ! Sur ordre du Saint-Père, chaque homme de son armée est bien payé. Pourquoi ? Pour qu’il n’aille pas voler ou brutaliser les habitants des villes que nous conquérons ! C’est aussi pourquoi j’ai pris soin de bien loger et de bien nourrir mes hommes ! Tout cela pour que le peuple ne haïsse pas les armées pontificales ! Il n’est pas contraint de nous aimer, mais j’espère qu’au moins il ne nous méprisera pas. Des imbéciles comme vous viennent gâcher mes plans et, de surcroît, désobéissent à un ordre de Sa Sainteté !
Le soir, au coucher du soleil, les trois hommes furent donc pendus sur la place, à titre d’exemple pour leurs camarades. Plus tard, dans les tavernes de la ville comme aux environs, tout le monde convint que César Borgia était un homme juste : d’heureux temps s’annonçaient.
Peu avant l’arrivée du printemps, l’armée de César fut renforcée par un contingent de troupes françaises envoyées par le roi Louis. Un ami de Milan lui recommanda par ailleurs un peintre, ingénieur et inventeur qui affirmait tout connaître des méthodes de guerre modernes, et qui s’appelait Léonard de Vinci.
Quand celui-ci arriva dans le palais des Malatesta, il trouva César occupé à examiner une carte des fortifications de Faenza.
— Ces murailles semblent repousser nos boulets comme un chien se débarrasse de ses puces ! Comment y créer une brèche assez large pour que nos troupes puissent s’y engouffrer et donner l’assaut ?
Les longs cheveux bruns de Vinci lui couvraient presque le visage. Il sourit.
— Ce n’est pas difficile, Votre Excellence. Pas du tout !
— Expliquez-vous, maestro, répondit César, fort intéressé.
— Il vous suffit de faire usage de ma tour de siège. Comme vous le savez, on s’en est servi pendant des siècles ; et je sais que vous pensez qu’elles n’ont plus aucune utilité. Mais la mienne est différente. Elle se compose de trois parties distinctes, et peut être amenée jusqu’aux murailles au moment même de l’attaque. À l’intérieur, des échelles mènent à une plate-forme assez vaste pour abriter trente hommes, protégés par un vaste panneau de bois à charnières, qu’on peut lever et rabattre comme un pont-levis ; il peut être jeté sur le sommet des remparts, et les soldats s’y précipiteront, armes à la main, tandis que trente hommes leur succéderont. En moins de trois minutes, quatre-vingt-dix hommes peuvent ainsi repousser l’ennemi. Dix minutes de plus, et il y en aura trois cents.
César éclata de rire :
— Une brillante idée, maestro !
— Mais le plus beau, reprit Léonard, est que vous n’aurez pas à vous en servir.
— Je ne comprends pas.
Le visage sévère de Vinci se détendit un peu :
— Vos plans montrent que les murailles de Faenza ont trente-cinq pieds de hauteur. Plusieurs jours avant la bataille, il faut que vous fassiez savoir à l’ennemi que vous compter utiliser ma tour – celle-ci pouvant percer toute muraille de quarante pieds de haut. Cela vous est-il possible ?
— Bien sûr ! Toutes les tavernes sur la route menant à Rimini sont pleines de gens qui courront l’annoncer à Faenza.
— Alors, entamez la construction de la tour, sous le regard de l’ennemi !
Vinci déplia une feuille de parchemin sur
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