Le sang des Borgia
médailles et des rubans ; sous son long nez, une fine moustache ornait sa lèvre supérieure. D’épaisses boucles brunes lui encadraient le visage. Ce ne devait pas être quelqu’un à s’abandonner en faisant l’amour.
Elle le rejoindrait à Ferrare, où ils vivraient. Ce qui n’empêcha pas qu’aient lieu à Rome des festivités autrement importantes que pour ses deux premiers mariages. À dire vrai, ce furent les plus extravagantes et les plus coûteuses qu’on ait jamais vues.
Les familles nobles possédaient à Rome de nombreux palais somptueux ; elles se virent pourtant accorder des subventions pour couvrir les frais de ces agapes et de ces fêtes. Afin de célébrer dignement cette brillante union, le pape semblait prêt à vider les coffres de l’Église. Il décréta un jour de congé, suivi pendant toute la semaine de défilés et de cérémonies. Des feux de joie furent allumés devant le Vatican et bien d’autres grandes demeures, dont bien sûr Santa Maria del Portico.
Le jour de la signature du contrat, Alexandre bénit sa fille, vêtue d’une robe d’or semée de pierres précieuses – qu’elle jeta à la foule du haut d’un balcon dès la cérémonie terminée. Un bouffon eut la chance d’en ramasser une et courut dans les rues en criant : « Longue vie à la duchesse de Ferrare ! Longue vie au pape Alexandre VI ! »
César lui-même joua un grand rôle lors de ce mariage, prenant à cheval la tête d’un défilé en l’honneur de sa sœur.
Ce soir-là, lors d’une fête réunissant toute la famille et ses amis les plus proches, Lucrèce dansa sur ces rythmes espagnols que son père aimait tant : rayonnant, celui-ci tapait des mains. Derrière lui se tenaient ses deux fils : Geoffroi à gauche, César à droite, le visage couvert d’un masque de carnaval orné d’or et de perles.
Alexandre, revêtu de ses plus somptueux atours, se leva et, lentement, se dirigea vers sa fille. Le silence se fit ; les rires cessèrent.
— Feras-tu l’honneur d’accorder une danse à ton père ? demanda-t-il. Car bientôt tu seras loin d’ici.
Faisant la révérence, elle prit sa main. Se tournant vers les musiciens, le pape leur enjoignit de jouer, puis prit Lucrèce dans ses bras. Elle fut émerveillée de sa vigueur, de son sourire, de sa légèreté et de son aisance, et eut l’impression d’être redevenue enfant, se souvenant d’avoir posé ses petits pieds, chaussés de pantoufles roses, sur ceux d’Alexandre. À cette époque, elle aimait son père plus que tout ; c’était un moment magique où tout paraissait possible – longtemps avant qu’elle ne comprenne que la vie exigeait bien des sacrifices.
Levant la tête, elle aperçut brusquement César, juste derrière Alexandre.
— Puis-je, père ? demanda-t-il.
Se retournant, le pape parut un peu surpris, mais dit :
— Bien sûr, mon fils !
Toutefois, sans lâcher la main de Lucrèce, Alexandre demanda aux musiciens de jouer quelque chose de gai.
Il se tint ainsi entre ses deux enfants, tenant la main de sa fille comme celle de César, et se mit à danser avec eux en riant aux éclats, tournoyant avec une énergie incroyable et les contraignant à le suivre. Son visage rayonnait.
L’assistance se mit à rire jusqu’à en avoir mal aux côtes. Tous applaudirent, puis finirent par se joindre aux trois Borgia, jusqu’à ce que la pièce soit pleine de gens dansant frénétiquement.
Un seul restait à part, immobile : Geoffroi, silencieux et maussade, observait la scène sans sourire.
Peu avant le départ de Lucrèce pour Ferrare, le pape donna une soirée entre hommes à laquelle tous les aristocrates de Rome furent invités. Il y aurait des danseuses, des tables de jeux…
Ce fut une fête somptueuse où furent servis toutes sortes de mets délicats, et le vin coulant à flots ne fit qu’ajouter à la bonne humeur des convives.
Une fois les tables desservies, Geoffroi se leva brusquement et, levant son verre, porta un toast :
— En cadeau de la part de ma belle-famille de Naples, et pour honorer les d’Este, mes nouveaux parents, j’ai tenu à vous offrir une distraction inattendue, qu’on n’a pas vue à Rome depuis bien des années.
Le pape et César furent surpris – et un peu gênés de la grossière présomption de Geoffroi évoquant ses « nouveaux parents ». Un peu inquiets, ils attendirent de voir ce qu’il leur préparait, tandis que les invités se réjouissaient déjà.
Les
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