Le sang des Borgia
se contentaient d’ânes, de chariots primitifs ou, tout simplement, allaient à pied.
Ils s’arrêtèrent dans tous les territoires conquis par César. Dans chaque ville, les petits enfants, tout excités, venaient accueillir le cortège, vêtus de rouge et d’or – les couleurs de son frère. Le voyage fut tout du long marqué par des bals aussi superbes que ruineux, et d’innombrables fêtes. Il leur fallut plus d’un mois pour gagner Ferrare, non sans vider, chemin faisant, les bourses de leurs hôtes.
Ercole d’Este était connu pour sa pingrerie : il ne lui fallut que quelques jours pour renvoyer à Rome le coûteux entourage de Lucrèce, qui dut lutter pied à pied pour obtenir des domestiques.
Le duc lui enseigna ensuite, de manière spectaculaire, comment les choses se passaient chez lui. Il lui fit grimper un escalier en colimaçon menant à une chambre tout en haut du château, puis montra du doigt une tache brune sur le sol de pierre :
— Un de mes ancêtres a fait décapiter sa femme et son beau-fils après avoir découvert qu’ils étaient amants. Regardez, c’est leur sang !
Il eut un gloussement espiègle tandis que Lucrèce frissonnait.
Au bout de quelques mois de vie commune, elle se retrouva enceinte. Les Ferrarais en furent ravis, car ils avaient prié le ciel de leur accorder un héritier mâle. Malheureusement, l’été fut très humide, ce qui multiplia les moustiques porteurs de la malaria. Lucrèce tomba malade.
Alfonso d’Este se hâta de prévenir le pape que sa fille avait les fièvres, ajoutant qu’elle était gravement atteinte et que peut-être le souverain pontife préférerait envoyer ses propres médecins à son chevet.
Alexandre et César furent terrifiés à l’idée de perdre Lucrèce : ils craignaient surtout qu’elle n’ait été empoisonnée. Le pape répondit donc, dans une lettre rédigée de sa propre main, que seul le médecin qu’il dépêchait à Ferrare aurait le droit de la soigner.
Le soir même, César, déguisé en paysan portant capuche, accompagna l’homme de l’art à Ferrare. Ne sachant qui étaient ces inconnus, sinon qu’ils venaient de la part du pape, Ercole et son fils se retirèrent dans leurs appartements tandis qu’un serviteur menait les visiteurs jusqu’à la chambre de Lucrèce.
Bien que très faible et plongée dans la torpeur, elle reconnut aussitôt son frère. Sa peau était blême, ses lèvres craquelées par la fièvre, elle vomissait sans arrêt depuis quinze jours. Elle tenta en vain de parler ; sa voix était si faible qu’il n’entendit rien.
Le serviteur ayant quitté les lieux, il se pencha pour l’embrasser :
— Ma princesse a l’air bien pâle, ce soir, dit-il d’un ton badin. Tes joues sont moins roses que d’habitude. Serait-ce que l’amour te fuit ?
Elle voulut lui rendre son sourire – mais sans même pouvoir lever la main pour lui caresser le visage.
De toute évidence, Lucrèce était dans un état grave ; pourtant, quand le médecin le confirma à César, celui-ci en fut bouleversé. Se dirigeant vers un bassin, il ôta sa défroque, se lava le visage, puis ordonna à un serviteur d’aller prévenir le duc.
Ercole arriva quelques instants plus tard, manifestement alarmé, et sursauta en voyant le frère de Lucrèce.
— César Borgia ! s’exclama-t-il. Pourquoi donc êtes-vous ici ?
— Je suis venu rendre visite à ma sœur, répondit César d’une voix froide. Ne serais-je pas le bienvenu ? Y aurait-il, dans l’obscurité, des choses que je ne peux pas voir ?
— Bien sûr que non ! répliqua le duc. Je suis simplement… surpris de vous trouver ici.
— Je ne resterai pas longtemps, juste le temps de vous délivrer un message de mon père – et de moi.
Posant la main sur son épée, il s’avança vers Ercole et dit d’un ton glacé :
— Le Saint-Père et moi-même désirons vivement que ma sœur recouvre la santé. Si d’aventure elle mourait, nous ne manquerions pas d’en rendre la ville responsable. Me fais-je bien comprendre ?
— Dois-je considérer cela comme une menace ?
— Je vois que vous me comprenez. Ma sœur ne doit pas mourir, car sinon elle ne sera pas la seule !
Il resta plusieurs jours en compagnie du médecin. Il fut finalement décidé que Lucrèce devrait être saignée, mais elle refusa :
— Je ne veux pas être vidée de mon sang ! s’exclama-t-elle en secouant la tête et en se débattant faiblement.
César s’assit à ses
Weitere Kostenlose Bücher