Le sang des Borgia
tentation.
— Puis-je la voir ?
Le pape parut surpris :
— Qui serais-je si je t’en empêchais ? Crois-tu vraiment que je suis un monstre ?
Geoffroi sortit, sans pouvoir retenir ses larmes : il venait de perdre, non seulement sa femme, mais aussi son père.
Sancia fut enfermée dans une cellule du Castel Sant’Angelo. On l’y laissa seule, mais elle pouvait entendre les cris, les plaintes et les imprécations des autres prisonniers. Ceux qui la reconnurent l’injurièrent, les autres se demandèrent comment une aussi belle jeune femme pouvait se retrouver dans une telle situation.
Elle était folle de rage. Le pape l’avait autrefois renvoyée à Naples, et voilà qu’il la faisait emprisonner ! C’était sceller son propre destin car, même enfermée ici, elle ferait tout pour assurer sa chute. Il cesserait d’occuper le trône de saint Pierre, même si elle devait donner sa vie pour cela.
Quand Geoffroi fut autorisé à la voir, elle avait retourné sa paillasse, répandu la paille sur le sol et jeté contre le mur le repas qu’on lui avait apporté.
Il fut surpris qu’elle le prenne dans ses bras.
— Mon mari, tu dois me venir en aide. Si tu m’aimes, fais parvenir un message à ma famille, il faut que mon père sache ce qui m’arrive.
— Oui, répondit-il en caressant ses cheveux. Je ferai tout mon possible. En attendant, je viendrai ici aussi souvent que tu le voudras.
Tous deux s’assirent sur la paillasse ; il l’enlaça pour tenter de la réconforter.
— Peux-tu m’apporter du papier et de quoi écrire, et veiller à ce que le message parte aussitôt ? demanda-t-elle.
— Oui, car je ne peux supporter d’être loin de toi. Elle sourit, ce qui redonna quelque espoir à Geoffroi.
— Nous ne sommes qu’un, dit-il, et ce qu’ils te font, ils le font à moi aussi.
— Je sais que la haine est un péché, mais je suis prête à souiller mon âme de celle que j’éprouve pour ton père. Il a beau être le Saint-Père, pour moi il est encore pire que le dernier des anges déchus.
— J’écrirai à César, car je ne doute pas qu’il nous vienne en aide une fois de retour.
— Ah bon ? Je ne l’aurais pas cru.
— J’ai mes raisons. Il comprendra, je suis certain qu’il te fera sortir de cet enfer.
Il l’embrassa longuement et partit.
Mais, cette nuit-là, les gardes entrèrent dans sa cellule, la dévêtirent et la violèrent à plusieurs. Ayant été emprisonnée comme prostituée, elle n’était plus sous la protection du pape ; ils ne redoutaient nullement d’être punis.
Le lendemain, quand Geoffroi arriva, Sancia s’était lavée et vêtue, mais ne disait plus mot. Il eut beau insister, elle paraissait ne rien entendre. Ses yeux verts avaient perdu toute vie et semblaient désormais d’un gris indistinct.
César contrôlait enfin la Romagne. Mais il y aurait encore bien des villes à prendre avant qu’il puisse unifier l’Italie. Camerino, gouvernée par les Varano ; Senigallia, par les Della Rovere, Urbino, dont Guido Feltra était le maître… Cette dernière cité semblait trop puissante pour qu’il l’attaque ; mais elle bloquait le chemin de l’Adriatique, pourrait couper toute communication avec Pesaro et Rimini. Il fallait faire quelque chose.
La campagne se poursuivit donc.
Camerino fut son premier objectif. César rassembla une armée qui frapperait au nord, depuis Rome. Ensuite, elle ferait sa jonction avec ses capitaines espagnols et les troupes qu’il avait laissées en Romagne.
Toutefois, afin d’y parvenir, il fut contraint de demander à Guido Feltra de laisser passer Vito Vitelli et son artillerie. Toute l’Italie savait que Feltra n’aimait guère les Borgia. Sa réputation de condottiere était hélas surestimée. Désireux d’éviter un affrontement immédiat, il donna son accord, pour mieux dissimuler ses intentions – il comptait venir en aide à Alessio Varano, qui régnait sur Camerino.
Malheureusement pour lui, les espions de César découvrirent ses plans. La puissante artillerie de Vitelli pénétra sur ses terres puis, sans prévenir, les forces de César prirent la ville en tenaille.
La seule vue des troupes pontificales, avec à leur tête César Borgia revêtu de son armure noire, suffit à décider Feltra à prendre la fuite.
La ville se rendit aussitôt, à la grande stupéfaction, non seulement de l’Italie, mais de toute l’Europe : le duc d’Urbino avait toujours passé pour être
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