Le sang des Borgia
invincible.
Comme prévu, César marcha ensuite sur Camerino qui, ne pouvant plus compter sur l’aide de Feltra, capitula sans grande résistance.
Il semblait désormais que rien ne pourrait plus empêcher César d’imposer sa volonté à toute l’Italie.
À Florence, ce jour-là, le soleil était haut dans le ciel et brûlait la ville tout entière. On avait ouvert en grand toutes les fenêtres, mais aucun souffle d’air ne venait rafraîchir la salle, où l’on étouffait : les membres du gouvernement florentin suaient, s’agitaient, attendant avec impatience que la séance touche à sa fin, afin de pouvoir rentrer chez eux prendre un bain et boire un verre de vin.
Le rapport de Machiavel, émissaire envoyé auprès du Vatican, serait d’une importance cruciale, car il pourrait décider de l’avenir de leur cité.
La situation était des plus inquiétantes. La dernière fois, César Borgia avait menacé Florence ; on s’était débarrassé de lui contre espèces sonnantes, mais cela ne pourrait pas durer indéfiniment.
Machiavel se leva pour s’adresser aux membres de la Signoria. En dépit de la chaleur, il ne transpirait nullement dans son pourpoint gris perle.
— Excellences, vous savez qu’Urbino est tombée, que le duc a été pris par surprise – par traîtrise, diront certains ; mais, si c’est le cas, il l’avait bien mérité. De toute évidence, Guido Feltra complotait contre les Borgia, qui n’ont fait que lui rendre la monnaie de sa pièce. On pourrait y voir un parfait exemple de frodi onorevoli, de fraude honorable.
Où en est César Borgia ? Son armée est puissante, bien organisée, ses hommes lui sont fidèles. Ils l’adorent, comme toutes les cités qu’il a conquises ont pu s’en rendre compte. Il s’est emparé de toute la Romagne, et maintenant d’Urbino. Il terrifie Bologne – et, s’il faut parler franc, il nous terrifie aussi.
D’un geste théâtral, il plaça la main en visière sur ses yeux, pour mieux faire admettre aux membres de l’assemblée les choses désagréables qu’il avait à leur dire :
— Nous ne pouvons espérer que les Français feront obstacle à ses plans. Certes, ils se méfient des Borgia, qu’ils soupçonnent d’avoir inspiré les événements d’Arezzo ; que César menace Bologne et notre grande cité les a irrités. Mais souvenons-nous que le roi de France a besoin de l’appui du pape face à l’Espagne et à Naples – et que l’armée du fils Borgia est des plus redoutables. L’attitude française est, dans ces conditions, parfaitement raisonnable.
Il baissa la voix.
— Je vais vous faire part d’une confidence. César a secrètement rencontré Louis XII, qu’il est allé voir déguisé, sans se faire accompagner d’une escorte. Il s’est placé à sa merci, l’a supplié de pardonner les petites aventures de Vitelli à Arezzo. Ce faisant, il a apaisé les rancœurs qui pouvaient subsister entre le royaume de France et la papauté. Par conséquent, s’il décide d’attaquer Bologne, je prédis que le roi de France le soutiendra. S’il s’en prend à Florence… les Français s’y opposeront peut-être… mais peut-être pas.
Un membre de la Signoria se leva, le visage soucieux, s’épongeant le front avec un mouchoir de batiste :
— Machiavel, vous êtes en train de nous dire que César Borgia est invincible, et que ceux d’entre nous qui ont la chance de posséder une villa dans les montagnes feraient mieux de prendre la fuite.
— Je ne pense pas que les choses soient aussi graves, Excellence. Jusqu’à présent, nos relations avec lui sont amicales, et il a pour notre cité une affection véritable.
Toutefois, il nous faut prendre en compte un autre facteur, qui peut affecter cet équilibre. César Borgia a vaincu et humilié un certain nombre d’hommes dangereux en les chassant de leurs territoires. S’il est vrai que ses hommes l’adorent, je suis beaucoup moins sûr de ses condottieri, gens violents et imprévisibles, fort capables de le jalouser. Il se pourrait bien qu’un jour ils cherchent à le renverser.
César veut devenir l’homme le plus puissant d’Italie : ce qui lui vaut d’avoir d’innombrables ennemis. Mieux vaut qu’ils ne soient pas les nôtres.
C’est à Magioni, château situé sur les terres des Orsoni, que le complot avait pris corps. Giovanni Bentivoglio, maître de Bologne, était bien décidé à en prendre la tête. Véritable athlète aux traits grossiers,
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