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Le sang des Borgia

Le sang des Borgia

Titel: Le sang des Borgia Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mario Puzo
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tournait au gris, il devenait de plus en plus pâle. Mais, quand Maruzza revint, il le congédia d’un geste agacé :
    — Je t’ai assez vu ! Reste à ta place !
    Il se tourna de nouveau vers son fils, en tentant de garder les yeux ouverts, car ses paupières lui semblaient de plus en plus lourdes.
    — César, t’est-il arrivé d’aimer quelqu’un plus que toi-même.
    — Oui, père.
    — Qui ?
    — Ma sœur, répondit César, tête baissée, au bord des larmes : il avait l’impression d’être en confession.
    — Lucrèce… souffla le pape en souriant. Oui… Ce fut là mon péché, et ta malédiction.
    — Je lui dirai que tu l’aimais, car elle sera folle de chagrin à l’idée de n’avoir pas été là.
    — Dis-lui qu’elle a toujours été la fleur la plus précieuse de ma vie… Et une vie sans fleurs n’en est pas une, car la beauté nous est plus nécessaire que tout.
    César regarda son père et, pour la première fois, le vit tel qu’il était : en proie au doute, plein de défauts. Jamais ils n’avaient eu l’occasion de parler librement, et il aurait voulu savoir tant de choses sur cet inconnu qui était son père.
    — Et toi, chuchota-t-il, as-tu aimé quelqu’un plus que toi-même ?
    — Oui, mon fils, oui… répondit Alexandre après bien des efforts.
    — Qui ?
    — Mes enfants… tous mes enfants… Mais j’ai peur que ce soit là un défaut. Pour moi qui ai eu le bonheur d’être pape, c’était un péché. J’aurais dû aimer Dieu davantage.
    — Quand tu levais le calice au-dessus de l’autel, tes yeux fixés vers le ciel et pleins d’amour de Dieu, cela réchauffait le cœur des croyants.
    Alexandre se mit à trembler de tout son corps, à tousser et, quand il réussit à parler, sa voix était pleine d’ironie :
    — Quand je bénissais le pain et buvais le vin – corps et sang du Christ, je pensais au corps et au sang de mes enfants. Comme Dieu, je les avais créés ; comme lui, je les ai sacrifiés. J’étais victime de ma propre démesure ; je m’en rends bien compte à présent.
    César tenta de le réconforter, bien que lui-même se sentit très faible :
    — Père, s’il te faut mon pardon, je peux te l’accorder. Et si tu veux mon amour, tu dois savoir que tu l’as toujours eu…
    Le pape resta silencieux un moment, comme s’il pensait à autre chose.
    — Où est Geoffroi ?
    Duarte alla le chercher.
    Entrant dans la pièce, Geoffroi se plaça derrière son frère, loin du lit. Son regard était dur et froid, on n’y lisait aucun chagrin.
    — Viens, mon fils, dit Alexandre, viens près de moi. Quelqu’un déplaça César, dont Geoffroi prit la place avec réticence.
    — Penche-toi, dit son père. Il y a des choses que je dois te dire…
    Geoffroi hésita puis obéit.
    — Je t’ai causé du tort, mon fils. Mais jusqu’à ce moment, mes yeux étaient fixés sur le néant.
    Les yeux du pape semblaient embrumés ; Geoffroi le regarda bien en face et dit :
    — Je ne peux te pardonner, père, car à cause de toi je ne peux me pardonner moi-même.
    — Je m’y prends bien tard, je le sais, mais avant de mourir il est important que je te le dise. C’est toi qui aurais dû être cardinal, car tu es le meilleur de nous tous.
    — Père, tu ne sais même pas qui je suis.
    Alexandre eut un sourire espiègle.
    — Sans Judas, le Christ serait resté charpentier, aurait mené la vie d’un prêcheur sans ouailles et serait mort très vieux…
    II gloussa : tout d’un coup, l’existence paraissait si absurde ! Geoffroi s’enfuit en courant.
    César reprit sa place et tint la main de son père jusqu’à ce qu’il sente qu’elle se glaçait.
    Alexandre avait plongé dans le coma et n’entendit pas qu’on frappait à la porte. Il ne vit pas Julia Farnèse, vêtue de noir et la tête couverte d’un voile, entrer dans la pièce. Elle se tourna vers César :
    — Je ne pouvais supporter l’idée qu’il nous quitte sans le revoir une dernière fois, expliqua-t-elle avant de s’agenouiller et d’embrasser le mourant sur le front.
    — Comment te sens-tu ? demanda César.
    Elle ne répondit pas à sa question :
    — Tu sais, il a été toute ma vie, le fondement de mon existence. J’ai eu bien des amants. Presque tous des enfants : indifférents, brutaux, prétentieux… Mais lui, en dépit de ses défauts, était vraiment un homme.
    Les larmes lui vinrent aux yeux. Elle chuchota :
    — Adieu, mon amour…
    Elle reprit son voile et sa cape et

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