Le sang des Borgia
sans repousser Brandao qui voulait baiser son anneau :
— Mon cher, réservons de telles simagrées aux cérémonies publiques, ou quand il y a du monde ; en privé, tu sais parfaitement que c’est à toi que je fais le plus confiance, avant même mes enfants. Bien que je sois vicaire du Christ, il y a entre nous une sorte d’égalité, car ta fidélité et ton amitié me sont précieuses.
Il désigna un autre siège de la main, mais Duarte, incapable de rester en place, marcha de long en large en lui expliquant ce qu’il avait appris.
Alexandre l’écouta avec la plus vive attention, puis demanda :
— Crois-tu vraiment que les étoiles gouvernent notre destin ?
— Votre Sainteté, ce que je pense en ce domaine n’a aucune importance.
— Bien au contraire !
— Je crois qu’elles ont de l’influence sur nos vies, mais que c’est l’homme, et surtout Dieu, qui gouvernent l’existence de chacun.
Le pape prit entre ses doigts l’amulette qui ne quittait jamais son cou et la caressa :
— Chacun de nous croit que quelque chose régit nos vies, Charles VIII ne fait pas exception.
Puis il sourit :
— Mais tu dois avoir un plan, je le vois à ton visage ! Dis-moi tout !
— Laissez-moi contacter ce Simon de Pavie, répondit Duarte, chuchotant presque.
— Combien te faudra-t-il ?
Brandao hésita un instant ; il savait le pape peu porté aux dépenses, sorti des cérémonies et des affaires de famille :
— Je dirais vingt mille ducats…
— Duarte ! s’écria Alexandre en s’efforçant de contrôler sa surprise. Vingt mille ? Il y a de quoi équiper une armée entière !
— Votre Sainteté, répliqua Brandao en souriant, il ne faut pas regarder à quelques pièces d’or ! Cet homme a la confiance du roi de France, il faut donc veiller à ce qu’il lise correctement dans les étoiles.
Le pape réfléchit quelques instants, puis acquiesça de la tête :
— Tu as raison, comme d’habitude ! Paie-lui ce que tu estimeras nécessaire. L’astrologie nie le libre arbitre, qui est pourtant le plus grand don que Dieu ait fait à l’homme. Et elle est interdite par le droit canon ! Nous n’avons donc pas affaire à un véritable chrétien, et par conséquent nous ne compromettrons pas nos âmes.
Cette nuit-là, Duarte, déguisé, franchit secrètement les lignes françaises, puis chevaucha plusieurs jours avant d’atteindre sa destination – une petite chaumière perdue dans les bois. Simon de Pavie était fort occupé avec une courtisane des plus dodues. Brandao, en véritable homme du monde, présenta ses excuses à la dame et convainquit le médecin-astrologue de bien vouloir lui accorder une entrevue privée : il avait un message des plus importants à lui remettre.
Quelques instants suffirent pour que de l’argent change de mains.
Toujours déguisé, et ravi du succès de sa mission, Brandao remonta à cheval et repartit pour Rome.
Si seulement un pape avait l’âme et le cœur d’un saint, non les désirs profanes d’un simple mortel ! Déjà perdu dans de multiples intrigues politiques, Alexandre était de surcroît constamment distrait par ses affaires personnelles. Sa jeune maîtresse, Julia Farnèse, avait accompagné Lucrèce à Pesaro ; mais elle y était restée plus longtemps que prévu, la fille du pape étant tombée malade. Puis, une fois son amie guérie, elle avait décidé d’aller rendre visite à son époux Orso au château de Bassanello, pour des raisons qu’Alexandre ne pouvait comprendre. Et auparavant, elle comptait s’arrêter à Capodimonte, afin de voir sa mère et son frère malade !
Quand Alexandre prit connaissance de sa requête, il y opposa une interdiction formelle : après tout, son mari était un soldat, envoyé en mission sur ses ordres ! Julia s’obstina et lui écrivit une seconde lettre, le suppliant de lui pardonner sa désobéissance. Et pour couronner le tout, elle emmenait Adriana jusqu’à Capodimonte !
Quand le pape reçut sa missive, il explosa de fureur. Il ne pouvait supporter l’idée d’être loin d’elle. Pourquoi donc n’éprouvait-elle pas le même sentiment ? Tous ceux qui étaient au service d’Alexandre durent subir les effets de sa colère. Il passait des nuits entières sans dormir, oubliant jusqu’aux tempêtes politiques qui le menaçaient, ne songeant qu’à elle, à la douceur de ses mains, à l’odeur de ses cheveux, à la tiédeur de son corps. Quand il ne pouvait plus le
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