Le sang des Borgia
supporter, il s’agenouillait devant l’autel et priait pour que le démon de ses insatiables appétits lui soit, une bonne fois pour toutes, arraché du cœur. Le cardinal Farnèse tenta de le raisonner, de lui expliquer que sa sœur n’avait pas le choix – Orso avait réclamé sa présence et, après tout, il était son époux… Le pape le congédia tout net en s’écriant :
— Ingrazia !
Il rumina sa fureur des jours durant, marchant de long en large dans ses appartements, dressant la liste des innombrables vices de sa maîtresse, de son mari, de toute sa famille ! Il les excommunierait tous, ils iraient en enfer pour l’avoir trahi !
C’est Orso qui, finalement, mit un terme à cette situation impossible. Informé du courroux d’Alexandre, et craignant pour sa propre carrière, il interdit à son épouse de venir à Bassanello. Elle devrait retourner à Rome sur-le-champ ; les troupes françaises approchaient, les chemins n’étaient pas sûrs. Cette fois, Julia fut bien obligée d’obéir à ses ordres : il était son mari.
Quand Charles VIII franchit les Alpes avec son armée pour entrer en territoire italien, le cardinal Della Rovere était à ses côtés, le pressant sans arrêt, lui ressassant qu’il fallait en finir avec les Borgia avant de songer à une croisade contre les Infidèles.
Les troupes françaises prirent le chemin du sud, en direction de Naples, sans que Milan, Bologne ou Florence songent à leur faire obstacle.
Alexandre, averti de leur prochaine arrivée, entreprit de défendre Rome et le Vatican. Pour cela, il faisait confiance au général du roi Ferrante, Virginio Orsini, le chef de la lignée des Orsini ; il avait convaincu le pape en s’acquittant scrupuleusement des impôts qu’il devait verser sur ses châteaux. Alexandre savait en effet qu’il pouvait rassembler plus de vingt mille vassaux : ils seraient invincibles avec l’imprenable forteresse de Bracciano.
Mais la trahison et la cupidité peuvent se dissimuler dans les cœurs des hommes les plus courageux, et le Saint-Père lui-même ne pouvait les empêcher d’agir.
Duarte arriva en courant :
— Votre Sainteté, on vient de me prévenir que votre cher ami Virginio Orsini est passé du côté des Français.
— Il a perdu l’esprit !
Brandao témoignait toujours d’un calme à toute épreuve ; cette fois, pourtant, il paraissait bouleversé.
— Que t’arrive-t-il donc ? demanda le pape. Il va nous falloir changer de stratégie, c’est tout. Au lieu de combattre le roi Charles, nous devrons nous montrer plus malins que lui.
Duarte baissa la tête et répondit, chuchotant presque :
— Il y a pire, Votre Sainteté. Les Français ont capturé Julia Farnèse et Adriana, qui venaient de quitter Capodimonte. Elles sont détenues au quartier général de la cavalerie.
Alexandre blêmit et demeura muet un long moment, envahi par la crainte. Puis il dit :
— Duarte, la chute de Rome serait une tragédie, mais si ma chère Julia devait souffrir… je préfère ne pas y penser. Il faut que tu obtiennes sa libération. Je suppose qu’ils vont demander une rançon.
— Combien voulez-vous payer ?
— Ce qu’il faudra ! La prunelle de mes yeux est désormais aux mains du roi de France !
Les Français étaient connus pour leur esprit chevaleresque. Après avoir capturé Julia et Adriana, ils libérèrent tous leurs serviteurs, puis s’efforcèrent de rassurer les deux femmes à grand renfort de mets délicats et de propos galants. Toutefois, quand Charles apprit qui elles étaient, il ordonna qu’elles soient immédiatement rendues au pape.
— Contre quelle rançon ? demanda le chef de sa cavalerie.
— Trois mille ducats.
— Mais le pape serait prêt à payer cinquante fois plus ! protesta l’homme.
— Nous sommes venus ici nous emparer de Naples, qui vaut bien davantage.
Moins de trois jours plus tard, les deux femmes parvenaient à Rome sans encombres, escortées par quatre cents soldats français. Alexandre, soulagé, empli de joie, les attendait aux portes de la ville.
Ce soir-là, dans ses appartements, vêtu en cavalier, dague et épée au côté, chaussé de bottes noires, une cape noire ornée de brocart d’or sur les épaules, il fit l’amour à Julia et, pour la première fois depuis qu’elle l’avait quitté, se sentit enfin en paix.
Le pape savait qu’après l’ignoble trahison de Virginio Orsini, il était désormais impossible de résister aux Français
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