Le sang des Borgia
chers. Ses autels seront dans ton église, les pèlerins viendront l’adorer de partout. La décision est difficile à prendre. Que peux-tu ajouter aux preuves déjà réunies ?
Baldo Rosamundi s’inclina avec déférence.
— Mon expérience personnelle. Quand elle n’était encore qu’une enfant, j’étais au faîte de ma bonne fortune, et pourtant cela n’avait aucune valeur à mes yeux. Tout n’était que cendres. Doria n’avait que sept ans mais elle a vu ma tristesse, et m’a imploré de prier Dieu. C’est ce que j’ai fait, et je suis devenu heureux. Ce ne fut jamais une enfant ni une femme égoïste. Je lui offrais des bijoux coûteux qu’elle ne portait jamais : elle les vendait et donnait l’argent aux pauvres. Après sa mort, je suis tombé gravement malade, et les médecins m’ont tant saigné que j’étais blanc comme un spectre, mais je souffrais toujours autant. Et puis, une nuit, j’ai vu son visage, et elle m’a parlé : « Tu dois vivre pour servir Dieu. »
Le pape leva la main pour une bénédiction, puis ôta sa mitre et la déposa sur la table :
— Et tu l’as fait ?
— Vous savez que oui, répondit Rosamundi. J’ai fait édifier trois églises à Venise, j’ai fondé un foyer pour les orphelins, en souvenir de ma petite-fille. J’ai renoncé aux plaisirs terrestres peu dignes d’un homme de mon âge, et j’ai trouvé le bonheur dans le Christ et la Madone.
Il s’interrompit et eut un sourire bienveillant dont Alexandre se souvenait parfaitement :
— Saint-Père, il vous suffira de me dire comment servir l’Église au mieux, et j’obéirai.
Le pape feignit d’y réfléchir, puis dit :
— Tu sais sans doute que, depuis mon élection au trône de saint Pierre, j’ai l’espoir de mener une nouvelle croisade à la tête d’une armée chrétienne qui libérera Jérusalem et le tombeau du Christ.
— Bien sûr ! J’userai de toute mon influence à Venise pour que vous disposiez de la meilleure flotte possible ; vous pouvez compter sur moi.
Alexandre haussa les épaules :
— Venise est main dans la main avec les Turcs ! Elle ne peut risquer de mettre en danger ses routes commerciales et ses colonies ! Je le comprends, d’ailleurs, comme toi. Ce dont j’ai vraiment besoin, c’est d’argent, pour payer nos soldats et leur fournir du ravitaillement. Et les fonds me manquent. Même avec les revenus de la taxe que j’ai réussi à extorquer à tous les membres du clergé et à tous les fidèles. J’ai aussi pressuré les juifs de Rome. Mais cela ne suffit pas.
Il sourit et ajouta :
— C’est là que tu peux vraiment servir l’Église.
Baldo Rosamundi hocha pensivement la tête et alla même jusqu’à lever les sourcils, comme si c’était là une surprise à laquelle il lui faille réfléchir :
— Saint-Père, donnez-moi une idée de ce qu’il vous faut, et j’obéirai, quand bien même il me faudrait hypothéquer ma flotte.
Le pape avait déjà une idée de ce qu’il comptait demander. Avoir une sainte dans la famille permettrait aux Rosamundi d’être accueillis dans toutes les cours d’Europe, et de se protéger de leurs ennemis. Certes, on comptait déjà près de dix mille saints, mais quelques centaines seulement étaient officiellement reconnus par l’Église.
— Ta petite-fille était très certainement bénie par le Saint-Esprit. Elle était sans reproche et a fait honneur au royaume de Dieu sur cette terre. Mais il est peut-être trop tôt pour la canoniser. Il y a bien d’autres candidats, dont certains attendent depuis plus d’un siècle ! Je ne veux pas aller trop vite : c’est une décision irrévocable.
Jusque-là, Rosamundi semblait plein d’espoir et de confiance ; il parut se recroqueviller dans son fauteuil et dit, d’une voix presque inaudible :
— Je veux pouvoir prier dans son église avant de mourir, et je n’ai plus si longtemps à vivre. Je veux qu’elle intercède en ma faveur auprès des cieux. Je crois réellement au Christ, je suis persuadé que ma petite-fille était une sainte. Je veux pouvoir l’adorer pendant que je suis encore de ce monde. Je vous en supplie, Saint-Père, demandez-moi ce que vous voulez.
À ce moment, le pape sut que l’homme était sincère. Avec l’insouciance du joueur, il décida donc de doubler la somme qu’il comptait exiger :
— Notre croisade a besoin de cent cinquante mille ducats ; elle pourra alors partir vers Jérusalem.
Baldo Rosamundi parut
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