Le sang des Borgia
tête.
— Il souhaite épouser Anne de Bretagne, la veuve de son feu cousin Charles le Huitième.
— Ah, ah ! dit le pape en éclatant de rire. Tout devient clair ! Il veut épouser sa belle-sœur, demande une dispense au pape et, en échange, lui proposera un traité garantissant la sûreté de nos territoires.
— En substance, c’est cela, Saint-Père, répondit d’Amboise, manifestement soulagé, même si les choses sont un peu plus complexes.
— Vous me demandez là une chose assez grave. Ne dit-on pas dans les dix commandements : « Tu ne convoiteras pas la femme de ton frère » ?
— Votre Sainteté, votre dispense permettra de mettre ce commandement dans sa juste perspective.
Alexandre se rassit et dit d’une voix beaucoup plus sérieuse :
— C’est exact. Pourtant, avant de donner mon accord, je désirerais voir réglé quelque chose de bien plus important que la sûreté des États pontificaux. Après tout, votre roi sollicite une très grande indulgence. Vous savez sans doute que mon fils César vient de renoncer au cardinalat. Il est donc impératif qu’il se marie au plus tôt. La princesse Rosetta, fille du roi de Naples, semble être un excellent parti, et vous conviendrez sans doute que l’avis de votre roi pourrait jouer un grand rôle en ce domaine. Je pense que nous pouvons compter sur son appui ?
— Votre Sainteté, je n’épargnerai rien pour que mon souverain comprenne quels sont vos désirs et leur accorde tout son soutien. D’ici notre prochaine entrevue, je vous supplie de réfléchir à sa requête, car cela fait longtemps qu’il attend.
Le pape eut un regard espiègle :
— Allez, d’Amboise, et transmettez mon message au roi. Il se pourrait que la France et la papauté puissent fêter deux mariages.
César avait envoyé à Lucrèce plusieurs messages lui demandant une rencontre privée, en vain ; elle avait à chaque fois répondu que d’autres engagements la retenaient. Il en fut d’abord humilié, puis furieux.
Sa sœur était non seulement son amante, mais aussi sa meilleure amie. Les plans et les projets de César connaissaient tant de bouleversements qu’il aurait voulu les partager avec elle. Et pourtant, depuis des mois, elle passait chaque minute du jour et de la nuit en compagnie de son nouvel époux, le prince Alfonso : donnant des soirées, accueillant poètes et artistes ou partant en promenade à la campagne ; leur palais accueillait désormais des visiteurs venus de partout.
César préféra ne pas les imaginer faisant l’amour, car il avait eu des échos de leur nuit de noces ; cette fois, Lucrèce semblait en avoir tiré le plus grand plaisir.
Et maintenant qu’il n’était plus cardinal, il ne lui restait plus grand-chose à faire. Pour s’occuper, il passait des heures à lire des ouvrages de stratégie, à décider de la meilleure alliance maritale possible pour aider son père à reprendre le contrôle des États pontificaux. Il aurait voulu en parler à sa sœur – car qui le connaissait mieux qu’elle ?
Il se mit à passer ses nuits à boire chez les courtisanes, imprudence qui lui valut de contracter ce qu’on appelait déjà « la vérole française ». Son médecin, ravi d’avoir un cobaye sous la main, le fit macérer des semaines dans des bains bouillants agrémentés d’herbes médicinales et de punaises, pour venir à bout des pustules qui lui couvraient le corps. Il fut ainsi lavé, récuré et entaillé jusqu’à ce qu’elles finissent par disparaître, ne laissant que de petites cicatrices rondes qu’il pourrait dissimuler sous ses vêtements.
Une fois remis, César envoya un nouveau message à Lucrèce et, deux jours durant, ne reçut pas de réponse. Puis, comme il fulminait dans ses appartements, se jurant d’aller jusqu’à son palais pour exiger de la voir, il entendit frapper à la porte et se redressa sur son lit.
Et soudain elle fut là, rayonnante, plus belle que jamais. Elle courut vers lui, il se leva pour la serrer dans ses bras, l’embrasser passionnément ; mais leurs lèvres ne se touchèrent qu’un instant, car elle se dégagea. Un baiser très doux, plein de tendresse, mais où n’entrait aucun désir.
— C’est pour cela que tu es venue me voir ? demanda-t-il. Tu as trouvé quelqu’un d’autre à ensorceler ?
Puis il tourna le dos avant même qu’elle ait le temps de répondre. Lucrèce en fut réduite à le supplier :
— César, mon amour, ne sois pas furieux
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