Le sang des Dalton
l’histoire des États-Unis. Nous avons pris position sur le trottoir en planches ou sur des bancs, échangeant quelques courtes phrases. L’adolescent à bicyclette s’est approché de la gare en tintinnabulant, puis a fait demi-tour. Des moustiques nasillaient dans l’air. Je me suis aventuré sur les traverses et j’ai aperçu une femme qui faisait rentrer ses enfants, une main crispée sur le poignet d’un garçon, tandis qu’un groupe de vieillards chenus conférait en gesticulant sous un orme et qu’un homme en pantoufles descendait les marches de sa véranda en chargeant un fusil de chasse à deux canons. J’ignore ce qu’il est advenu de lui. Suffocant, j’ai coincé un pan de mon imperméable derrière la crosse de mon pistolet et je m’en suis retourné vers la gare, cabotin comme pas deux. Je suais comme si c’était mon activité à temps-plein.
« On dirait qu’on va avoir du public, a constaté Powers.
— Ils ne vont pas s’attarder longtemps », a affirmé Doolin.
L’employé de la gare avait étanché le saignement de son nez avec des torsades de papier à en-tête de la Katy et il a pris place avec obéissance sur un banc devant la gare. Bob a parcouru à la lueur d’une allumette le tableau où figuraient les horaires jusqu’à ce qu’il ait trouvé ce qu’il désirait, puis il a soufflé la flamme.
« Il arrive à neuf heures vingt-deux », a-t-il déclaré.
À moins de cinq kilomètres de là, à bord du train de voyageurs numéro 2, bon nombre des types qui, après l’arrêt de Pryor Creek se piquaient d’avoir repoussé les Dalton et de nous avoir fait tourner casaque, étaient pétrifiés sur leurs banquettes vertes capitonnées et oscillaient à l’unisson avec la voiture en transpirant et en fumant, submergés par la pétoche. L’un d’eux vomit dans son chapeau. D’après certaines sources, au moins trois gus sortis pour pisser balancèrent leurs fusils au loin avant de se précipiter à travers les voitures jusqu’à l’arrière du train et de s’installer à des places plus sûres parmi les passagers, leur insigne planqué dans une poche.
Le mécanicien tira à deux reprises sur le cordon du sifflet et vit s’éclairer le signal rouge d’Adair ; il actionna le long levier de la vanne d’admission et tourna les valves libérant l’air sous pression dans les cylindres. Un panache de vapeur blanche s’épanouit, puis s’effilocha dans l’air, l’aiguille de la jauge de la chaudière bascula vers la gauche et dégringola, tandis que celle de la jauge de pression d’air grimpa et le train poursuivit en roue libre, la cloche sonnant à toute volée. Le mécanicien avait le coude qui dépassait par la fenêtre de la cabine et le chauffeur terminait le fond de son thermos de café – ou plutôt de « jus » comme disaient les cheminots – en rattachant l’une des bretelles de sa salopette. Le mécanicien poussa les leviers commandant les soupapes de frein du cylindre et les roues en acier grincèrent sur les rails.
« Y a deux gonzes en imper’ noir sur le quai, remarqua le chauffeur. Ça doit être des agents de sécurité des chemins de fer, je suppose.
— Il devrait y en avoir plus que deux. »
Le chauffeur se pencha pour avoir une meilleure vue, il reçut un coup de manche de hache dans la nuque et les marches résonnèrent sous les bottes de Grat. Pour ma part, je bataillais sur le marchepied de gauche, accroché par un bras, une jambe dans le vide, pistolet armé en main, la crosse calée sur le plancher à côté des poignées du registre du cendrier, si bien que je tenais surtout en respect un pot de suif servant à lubrifier les cylindres.
Le chauffeur caressait de la main le gnon violacé qu’il avait dans le cou. Le mécanicien lui demanda si ça allait.
« J’ai juste la nuque qui picote un peu », le rassura son collègue.
Je m’efforçais toujours de me hisser dans la cabine.
« Hé ! Regarde par là ! » m’écriai-je.
Le mécanicien s’exécuta et se retrouva face à un solide gaillard aux yeux acier qui avait un masque bleu sur le nez, tandis que, une main sur son ecchymose, le chauffeur reculait devant Grat, qui d’un seul coup emplit cet espace carré surchauffé. Mon frère poussa le mécanicien contre la chaudière avec l’extrémité de son manche de hache et tira de toutes ses forces le levier du frein pneumatique. La secousse nous déséquilibra tous et le mécanicien loucha sur le
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