Le sang des Dalton
revolver de Grat qui remuait à portée de main dans son étui au-dessous de sa montre de gousset, mais Grat s’en rendit compte.
« Ça te tenterait que je te pète le nez ? proposa-t-il. Je viens de me découvrir un don pour ça.
— Ça m’empêcherait de boire du whisky ? » rétorqua le mécanicien avec un sourire.
Alors que le train roulait encore, Kinney avait soulevé un store dans le wagon-restaurant et repéré Bob et Broadwell, solennels, qui encadraient le guichetier sur le quai de la gare. Sid Johnson, qui avait des pommettes saillantes et des pattes-d’oie à force de plisser les yeux, avait jeté un regard sous un store du côté gauche du train et surpris Doolin qui passait au-dessous de lui en se caressant la moustache, les yeux rivés sur le fourgon de queue. Johnson avait levé son pistolet et murmuré : « Pan. »
Debout à côté de la porte de communication à l’avant de la voiture, LeFlore attendait le signal de Kinney. Tous les autres volontaires avaient ôté leur chapeau et succombaient un par un à la frousse, tassés sur leur siège, leur revolver glacé entre les mains.
« Bon, cette fois, c’est la bonne, avait lancé Kinney en se dressant dans l’allée tel un politicien aguerri. Prêts à sortir les affronter, les gars ?»
Je doute que ses gars lui aient donné la réplique.
Johnson, LeFlore et Kinney se serrèrent sur la plate-forme en acier qui tanguait, ils entendirent le lent cliquetis des roues, puis quelques paroles dans la cabine de la locomotive, soudain couvertes par le gémissement des freins quand Grat tira le levier de freinage. Kinney bondit du marchepied et se plaqua au milieu d’un enchevêtrement de lierre noir de suie qui prenait d’assaut une remise à charbon située à gauche du train. LeFlore et Johnson patientèrent un instant jusqu’à l’arrêt du train, puis s’engouffrèrent à l’intérieur de la remise dont la porte était restée ouverte. Je les entrevis alors qu’ils s’élançaient hors de la voiture fumeurs comme des enfants qui jouaient aux cow-boys, mais je les pris pour des passagers effrayés et ne fis pas très attention à eux.
Kinney rejoignit Johnson et LeFlore dans la remise et ils restèrent là quelques minutes, à respirer de la poussière de charbon. Un chat noir sauta sur le couvercle de plusieurs caisses, puis atterrit par terre et vint se frotter contre la jambe de Kinney. Les trois représentants de la loi écoutèrent nos bottes crisser sur les pierres du ballast et Bob commander à Grat de venir jusqu’au wagon postal avec le chauffeur et un pic à charbon. Leurs chemises étaient tachées de transpiration. LeFlore, qui tenait son pistolet armé à la hauteur de son oreille, ne cessait de couler des regards en direction de J. J. Kinney et finalement Sid Johnson lâcha :
« On se les fait maintenant ou on poireaute encore un peu pour ménager le suspense ? »
J’avisai Newcomb et Doolin, plantés dans l’herbe comme des piquets le long du remblai, ainsi que Powers, Broadwell et Bob qui tambourinaient à la porte du wagon postal. Brusquement, les trois représentants de la loi cachés dans la remise à charbon passèrent à l’action, bang ! Un projectile frappa le marchepied, puis une douzaine de tirs atteignirent la chaudière et décrivirent des triangles dans la cabine en acier, si bien qu’aucun de nous n’aurait dû être épargné ; des balles perdues aplaties comme des champignons sifflèrent à deux doigts de Grat, des cheminots et de moi, mais même nos imperméables ne furent pas esquintés. Les impacts et les sifflements nous assourdissaient, des fragments de plomb brûlant nous cinglaient la figure. Toutefois, Grat et moi avions la gâchette rapide et nous avons répliqué par deux tirs pour chacun de ceux que nous recevions, dans la direction générale de la soute à charbon, car, éblouis par le foyer, nous ne discernions rien dans l’obscurité et nous n’étions pas en mesure de viser nos trois agresseurs. Le mécanicien et le chauffeur rampaient sur le sol ; des ricochets allumaient des étincelles sur les disques d’excentriques et une balle perdue fit chuter du tender une pelle à charbon qui se ficha dans l’herbe avec un « poc ! » (si j’ai l’air excité, c’est parce que je le suis – comme je l’étais alors). J’enfilai six cartouches dans mon barillet fumant, je guettai la flamme d’un tir destiné à m’emporter la face et je la
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