Le sang des Dalton
comme s’il avait lu ça dans une vignette dessinée. »
Nous sommes parvenus à la ferme de Yountis vers quatre heures du matin. Deux chiens au ventre et aux pattes marron de boue ont surgi de dessous la véranda pour nous indiquer les limites de la propriété. Nos montures les ont ignorés. Bryant a expédié un coup de crosse de fusil sur la tête du chien qui faisait « Ouah ! » et les deux cerbères se sont écartés pour nous guetter au milieu des hautes herbes en jappant et en haletant.
Yountis est sorti avec un fusil, nu comme un ver. Il avait des cheveux sales et touffus, des mains qui paraissaient bleues et des chicots tellement de guingois qu’il semblait montrer les dents. Il a pissé depuis le bord de la terrasse pendant que nous dessellions les bêtes, puis trempé la main dans la gamelle d’eau des chiens pour se débarbouiller le visage.
« Combien vous vous êtes fait ? » s’est-il informé.
Nous avons pénétré dans sa baraque et vidé le sac sur la table. La sœur d’Ol a émergé de sa chambre nippée d’une robe grise et a peigné sa chevelure noire avec ses doigts en essuyant le tabac à priser qu’elle avait sur les lèvres. Elle a coqueté un peu à l’intention de Newcomb, qui la pratiquait quand il était en manque, puis a entrepris de préparer le petit déjeuner comme Bob ouvrait le plus gros paquet et découvrait les papiers sans valeur, qu’il balança contre le mur et qui s’éparpillèrent sous le choc en voletant.
Refusant de croire que nous avions été roulés, Newcomb s’est rué à la poursuite de chacun des documents de transport et des chèques annulés pour s’assurer que ce n’était pas de l’argent. Bob a déchiré le second ballot et constaté qu’il s’agissait de billets de un et deux dollars, que je me suis mis en devoir d’empiler en liasses de cinquante. Yountis est revenu de sa chambre habillé d’une affreuse salopette et s’en est allé bouder dehors quand on lui a annoncé que le butin total se montait à peine à cinq cents dollars, sur lesquels il n’eut droit qu’à vingt pour le couvert et la location de son pré.
Esther Yountis a cuisiné des haricots à la graisse de rognons et des crêpes, puis s’est assise dans une bergère en souriant à quiconque regardait dans sa direction pendant que nous mangions en silence. Je me suis laissé aller contre le dossier de ma chaise et j’ai déclaré que c’était très bon. J’avais pour credo de faire contre mauvaise fortune bon cœur.
« Non, m’a opposé la sœur de Yountis. Ce n’est pas tellement bon. Mais merci quand même. »
Bob s’est tourné sur sa chaise pour lui confier que lui et moi avions été représentants de la loi dans les Territoires et que nous y étions bien en cour.
« J’arrête pas de demander à Ol d’abattre ces arbres, a répondu Esther Yountis. Je trouve qu’on est pas bien du tout, dans la nôtre, de cour. »
Bob s’est retourné vers son assiette et la conversation en est restée là – il a simplement ajouté au-dessus de son café que ça n’avait pas d’importance, combien nous avions récolté, vu que maintenant on était entraînés pour la prochaine fois.
Esther a entassé les plats, puis nous a précédés sur un étroit sentier à vaches. Les arbres étaient trop nombreux et trop rapprochés, tels des proches en deuil massés autour d’une tombe, et tout était couvert de mousse. Au pied des arbres poussait une herbe verte, des plantes rampantes vertes, du lierre vert. Les chiens bondissaient au milieu de la végétation d’où leur queue dépassait à peine. Des rais de soleil tombaient en biais comme de la pluie. Nous avons établi notre camp dans une petite clairière entre deux dalles de rocher et un ruisselet limpide qui se jetait en chuchotant dans Beaver Creek. Esther avait ensuite rebroussé chemin, raccompagnée par Newcomb ; ils avaient fait halte à mi-parcours sur un matelas de plantes d’où s’échappait un lait blanc quand elles se cassaient et, moyennant un peu de persuasion, elle avait retiré sa robe pour qu’il lui fasse son affaire.
Nous dormions tous sous des couvertures quand, vers midi, Eugenia Moore se fraya un passage à travers les fourrés, au pas sur son cheval. Elle était vêtue d’un pantalon en daim et d’une chemise d’homme en laine, qu’elle retira au bord de la rivière pour se laver avec du savon à la lavande et se débarrasser de l’odeur de sa monture. Puis elle se
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